
Fruit d’une collaboration avec le Musée suisse de la Mode d’Yverdon-les-Bains (MuMode), l’exposition Tender Buttons rassemble également des pièces uniques issues de prestigieuses institutions : le Musée des Arts Décoratifs (Paris), le musée Carnavalet-Histoire de Paris, le musée de la Vie romantique, ainsi que des collections privées. A admirer jusqu’au 4 octobre 2026.

Visite en compagnie de Claire FitzGerald, commissaire de l’exposition et conservatrice en chef :
« Cette exposition rassemble plus de 300 boutons en céramique et en verre, en dialogue avec des œuvres du Musée Ariana, datant du 18ème siècle à nos jours. Mode, artisanat, histoire de l’art, littérature, politique, bestiaire, sport, histoire sociale et design sont les thèmes ayant inspiré, entre autres, de magnifiques créations pour la haute couture française. A l’origine simple objet fonctionnel, le bouton suit l’évolution des modes pour devenir un support d’expression artistique et identitaire. De beaux objets parfois insolites présentés en libre accès, tout au long de la galerie supérieure, dans une série de “capsules”rappelant les passages couverts commerciaux du 19ème siècle. Nous avons de la chance de découvrir des productions moins connues, comme celle de Lucie Rie, céramiste autrichienne, et de Jacqueline Mercier-Mermod qui avait son atelier à Tolochenaz, de découvrir le champ de la haute couture par le biais d’Elsa Schiaparelli et le S caractéristique de ses petits boutons… »
Scénographie insolite, matières recyclées valorisées
L’idée du titre de l’exposition a été suggérée par Tender Buttons, recueil de courts poèmes écrit en anglais dès l’été 1912, premier ouvrage de Gertrude Stein (1874-1946). L’écrivaine se distingue de ses contemporains par de courts mots utilisés au quotidien. De petites unités linguistiques,
à l’échelle des boutons scintillants dans leurs vitrines investies de fragments de paysages minéraux synthétiques. Car, pour cette exposition originale, le défi du Studio Lucie de Martin a été d’utiliser des éléments de scénographie issus de déchets ménagers en matériaux plastiques recyclés, réalisés en impression 3D.

© Boris Dunand, Musée Ariana

décor peint en polychromie sous couverte. Arrière-plan : Manufacture royale de porcelaine de Copenhague – boutons porcelaine et céramique émaillée

aux motifs délicatement floraux sertis de filets dorés
© Boris Dunand, Musée Ariana
Acquisitions exceptionnelles, fibulanomistes avertis
Fondé à Yverdon-les-Bains en 1982, le MuMode abrite une collection de 15’000 objets, allant du 18ème siècle à nos jours : vêtements griffés,
garde-robes complètes, accessoires de mode. En 2016, suite à la fermeture du Musée du Bouton situé dans une ancienne ferme d’Estévenens (FR),
le MuMode reçoit un don exceptionnel de 30’000 boutons. Constituée par Madame Nicola Beaupain, cette collection rassemble des pièces provenant de différents pays et de différentes époques. Seuls ceux en céramique et en verre ont été retenus.
En 1990, le réalisateur Dominique Clément recherche de fibulanomistes – collectionneuses et collectionneurs de boutons – en vue d’une émission diffusée sur la RTS. Parmi ces entretiens figure Guy Dalimier qui fait, en 1988, l’acquisition de près de 15 millions de boutons produits dans une usine bavaroise, fermée depuis 1951, et réalisés en vingt-et-un matériaux différents, dont le verre, le corozo, le métal et la nacre. Les amis de Guy Dalimier l’aident à trier les boutons ramenés en Suisse et qui sont vendus à la louche et au poids au marché de la Riponne, à Lausanne. Après élimination des pièces défectueuses, une partie sera donnée à des associations, laissant environ 7 millions de boutons. Après avoir dormi quelques années dans un dépôt, le solde des boutons a intégré l’offre de la mercerie «Atelier Casaquin» à Lausanne.

le journalisme et les écrivaines au Royaume Uni.

Porcelaine décor polychrome peint.

Céramique peinte (1940 à env. 1971)

© Boris Dunand, Musée Ariana
Age d’or, traditions, art de la boutonnière
Avant l’arrivée du bouton qui permet d’ouvrir et refermer le décolleté et les manches, le laçage demeure le moyen de fermeture le plus courant jusqu’au 16ème siècle. Les parures de boutons précieux servent de marque de distinction sociale pour l’aristocratie. Un premier âge d’or du bouton s’affirme à la fin du 18ème siècle, avec des créations de grande taille. Fabriqués du 18ème au 20ème siècles, les fragiles boutons en céramique n’ont pas survécu. Dès 1773, le potier et industriel Josiah Wedgwood (1730-1795) réalise des boutons en grès en forme de camée avec sa fameuse pâte jaspée (Jasperware). Ils sont notamment commandés par Mathew Boulton, principal fabricant de boutons en Angleterre. D’autres manufactures acquièrent un belle réputation : Minton, Coalport, Delft, Royal Copenhagen, Limoges, Meissen, Mennecy-Villeroy et Sèvres.
Boutonnière, élément dans lequel on introduit un bouton pour fermer deux pans de tissus. Ce mot peut désigner également les décorations ou fleurs portées à la boutonnière du revers d’une veste ou encore la version féminine de l’artisan qui fabrique des boutons. Sa confection est tout un art : emplacement sur le devant à droite pour un vêtement féminin, à gauche pour un vêtement masculin, etc. Son enseignement était dispensé aux filles dans les écoles jusqu’à l’arrivée des machines à coudre modernes.

suisse de la Mode, Yverdon-les-Bains
©Boris Dunand, Musée Ariana

et « Satsuma », 1868-1912, céramique.
Collections Musée suisse de la mode, Yverdon-les-Bains
©Boris Dunand, Musée Ariana

Collections Musée suisse de la Mode, Yverdon-les-Bains © Boris Dunand, Musée Ariana
En décembre 1861, suite au décès du Prince Albert, époux regretté de la reine Victoria d’Angleterre, celle-ci dicte à ses sujets des règles vestimentaires strictes comme l’usage de tissus noirs mats et opaques, les pièces en jais étant les seuls bijoux autorisés. Les veuves doivent porter
le deuil pendant deux ans, et les petits boutons semi-mats et semi-brillants seront accompagnés de garniture ou de dentelle blanche à partir de la deuxième année. Des boutons en verre moulé-pressé imitant le jais soit le « jais français» (French jet) sont produits en masse à l’Est de la Bohême (actuelle République Tchèque) et les boutons transparents dits «verre dentelle» (lacey glass) sont également en vogue.

et qui se transmet à travers les générations.
© Boris Dunand, Musée Ariana

moulage en pâte de verre moulée

Line Vautrin, François Hugo, Jean Cocteau.
© Boris Dunand, Musée Ariana
Esprit de la haute couture, collections innovantes
Avec l’accélération de la production industrielle et l’avènement de la haute couture, le 20ème siècle voit un deuxième florissement du bouton. Leurs formes, matériaux, motifs et émaux servent d’indices quant à l’attribution d’une date ou d’une provenance.
A Paris, l’occupation allemande lors des deux Guerres mondiales entraîna des difficultés d’approvisionnement en matériaux tels que le métal et le cuir, ce qui donna naissance à de grands boutons en céramique. Une Suissesse, Jacqueline Mercier-Mermod, ramène cette mode sur le territoire helvétique, dont la production est présentée pour la première fois en institution à l’occasion de l’exposition Tender Buttons.
Etablie à Paris en 1922, Elsa Schiaparelli (1890-1971) fonde sa société en 1927 – haute couture et sportswear – et fait appel à différents artistes et artisans à travers ses collections thématisées, dont des réalisations en céramique. Jean Clément (1900-1949) est son principal fournisseur de 1928 à 1941. Un bouton attribué à Jean Cocteau (1889-1963) témoigne discrètement de la relation amicale qui lie le poète à la célèbre créatrice de mode. Sa rencontre avec François Hugo (1899-1982), créateur des bijoux fantaisie pour Coco Chanel, amène celui-ci à réaliser la majorité des boutons pour les collections Schiaparelli, de 1945 à 1952. Hugo travaillera également pour Dior et créera au total 1691 modèles de boutons.
En septembre 1938, l’artiste Lucie Rie (1902-1995) quitte Vienne pour se réfugier à Londres. Diplômée de la Haute École d’Arts et Artisanat, elle s’était fait remarquer pour sa méthode inhabituelle d’émaillage à cru associé à une monocuisson de formes simples. Au déclenchement de la guerre, Rie crée des boutons en verre pressé pour l’entreprise Bimini. En 1939, modelant les pièces d’abord à la main, Lucie Rie développe ensuite ses propres designs de boutons en céramique moulée, ce qui permet de répondre la demande croissante avec une fabrication semi automatisée. En 1946, l’atelier produit jusqu’à 6000 boutons par mois. Les commandes proviennent de merceries de grands magasins comme Harrods à Londres, Lord & Taylor à New York, ou directement de grands couturiers. 1984 sonne le début d’un succès international avec la rencontre du designer japonais Issey Miyake (1938-2022) qui décide d’inclure des boutons de Rie dans sa collection automne/hiver 1989 et organise l’exposition Issey Miyake Meets Lucie Rie à la galerie Sogetsu à Tokyo…
Claire FitzGerald, qui vient de prendre ses marques “dans ce magnifique bâtiment dont j’apprécie le côté effervescent du décor”, désigne la “capsule bibliothèque” où sont alignés quelques ouvrages : Lucie Rie Kettle’s Yard, Déboutonner la mode (Les Arts Décoratifs), Button Parade de Dorothy Foster Brown, et bien sûr Tender Buttons de Gertrude Stein…


directeur du Musée Ariana depuis le 1er août 2025. © Boris Dunand, Musée Ariana

© Boris Dunand, Musée Ariana

© Boris Dunand, Musée Ariana
Exposition Tender Buttons ~ A voir jusqu’au 4 octobre 2026
Du mardi au dimanche de 10h à 17h
Entrée libre // Fermé le lundi
Un magazine (français-anglais) est mis à disposition du visiteur qui peut suivre, lors de son parcours, les textes qui se rapportent à chaque vitrine.
Visites commentées // Visites thématiques // Visites pour les scolaires // Ateliers Jeune public // Ateliers Adultes // Inscriptions et réservations pour les groupes.
Evénement tout public, le 16 novembre 2025, de 11 h à 17 h : De la terre crue à la terre cuite. Atelier et visites éclairs.
Informations :
Musée Ariana Rue de la Paix 10
1202 Genève
Tél. : +41 (0)22 418 54 50

A voir au musée de l’Ariana, magnifique bâtiment,
jusqu’au 4 octobre 2026
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