J’adore les boutons, c’est magique ! Rien ne prédestinait Marjorie Balissat à travailler dans le milieu du textile, et surtout dans le vaste domaine des boutons, petits objets utiles et décoratifs. Une passion qui ne la quittera plus…
Ayant grandit dans un milieu musical, depuis toute petite Marjorie aime à se déguiser, à confectionner des costumes avec la complicité de son frère Christophe, qui lui est devenu musicien-comédien. La jeune Marjorie grandit dans un univers de théâtre, ludique et poétique, où chapeaux, perruques, plumes, châles, écharpes cohabitent avec des costumes mythiques.
A la recherche d’un local pour présenter ses collections
De retour à Lausanne, un métier de couturière en poche, la jeune femme participe à des spectacles costumés intimistes, créés par son frère. S’ensuivent des retouches pour des magasins, et des services de couture sur mesure pour une clientèle de particuliers. « J’ai toujours eu l’idée d’avoir quelque chose à moi, une petite affaire dans le tissu, la mercerie… Un petit capital provenant de la succession de mon père m’a permis de me lancer dans l’aventure, donc à la recherche d’un job et d’un endroit où le pratiquer toute seule ».
Autre cadeau du destin, sa rencontre avec Guy Dalimier, brocanteur à Lausanne, et son futur compagnon. Celui-ci a racheté dans les années ‘80 une usine de boutons fermée depuis 1950, située près de Munich. Il en a ramené une impressionnante collection de boutons de verres, chiffrée à environ 11 millions de pièces ! S’en est suivi un énorme travail de tri et de nettoyage effectué par sa mère. Ces boutons ont été vendus dans des marchés et dans sa boutique au Pré-du-Marché, à Lausanne. A la fermeture de cette dernière, les boutons ont été placés en veilleuse dans une grange, pendant une quinzaine d’années, dans le Jorat. Actuellement, il en reste encore un stock de 4 à 5 millions !!
Entretemps, un joli local, avec cave et garage, – occupé précédemment par une fleuriste et un marchand d’art –, se libérait dans le quartier sous-gare de Lausanne. Les propriétaires trouvant excellente l’idée de Marjorie de présenter et vendre boutons, passementerie et autres galons, lui confient les clefs de son futur royaume. Marjorie propose depuis des bouquets de boutons, de toutes formes, de toutes tailles, de toutes couleurs… Cela fait quatre ans désormais que le grand bouton vert « Atelier Casaquin » a pris place devant les deux vitrines au décor changeant selon les saisons et l’arrivage de marchandises.
Le décor est planté…
Un meuble fonctionnel composé de multiples tiroirs a été commandé à un menuisier des environs. Il occupe tout un mur. Tout autour, des étagères, des armoires aux rayonnages bien pratiques, des petits meubles de couture, des vitrines regorgent de tout ce qui représente la passion de Marjorie : des boutons. Mais pas n’importe lesquels… La dame des lieux est exigeante qui demande beauté, originalité, qualité… Préférence est donnée aux petits boutons de verre qui se déclinent en différentes couleurs et permettent toutes les fantaisies créatives pour enjoliver une tenue qui a besoin d’un nouveau look…
Grands classiques et belles matières
Dès l’ouverture de la boutique du Boulevard de Grancy, des possibilités d’acquérir des boutons originaux se sont présentées. Rachat d’un stock de tissus provenant de grandes maisons de couture, de la soie, des lainages… « De quoi régaler les clientes et le tout liquidé à 50% en très peu de temps, mais il fallait avoir un petit peu plus à offrir que des boutons. J’ai trouvé à Paris une petite maison écoulant des biais de satin, de coton, quelques fermetures éclair…
Le magnifique gilet noir rebrodé de boutons de verre de toutes les couleurs a été imaginé et cousu par la maman de Guy. Il est souvent mis en valeur dans une des vitrines de la jolie mercerie. Pour le plus grand bonheur des passants-es.
Collections d’une vie et trouvailles extraordinaires
Il y a quelques mois, une mercerie fermait à Châtel-St-Denis. « J’ai acquis un lot de boutons magnifiques des années 50-60 et commencé à en remplir dans des tubes transparents. 3 à 400 tubes de boutons qui trouveront place un peu partout, sur les étagères, dans les armoires… ! »
Tel tailleur de Lausanne avertit de sa fermeture presqu’immédiate la sympathique et toujours curieuse amatrice de boutons. Des lots de galons, de sangles de sacs sont à reprendre. C’est justement la mode des sacs en jeans avec galons. Et surtout de splendides boutons pour les smokings masculins, des attaches pour gilets, articles devenus rares… Telle maison se sépare de galons de tapissiers. Un grand lot de boutons à racheter en Italie… En collectionneuse – et vendeuse – passionnée, Marjorie est partante !
Un décompte plutôt dantesque
Marjorie Balissat avoue posséder une bonne mémoire visuelle, outil indispensable pour s’y retrouver parmi cette accumulation d’objets de mercerie. Combien de boutons ? Absolument impossible à dire, à compter… Peut-être la nuit, au lieu de compter des moutons, la sympathique mercière compte-t-elle ses jolis petits boutons de nacre, ses boutons de verre multicolore, ou encore en corozo, cet ivoire végétal, fruit du palmier à ivoire d’Amérique tropicale et d’Afrique…
Marjorie montre la sublime passementerie en raphia qui provient d’une fabrique en Italie. Ouvre des tiroirs remplis de boucles de ceinture, de fermoir en cuir, mousquetons, embouts pour confectionner des ceintures… Peu de dentelle. Juste pour dépanner, les grandes surfaces présentant des rayons bien achalandés en guipures.
Son dernier et très bel achat : les trésors d’une mercerie qui mettait la clef sous la porte, à Rome, après 70 ans d’activité. « C’était très touchant. Le papa de 90 ans avait ouvert ce commerce avec sa femme, leur fille qui aidait à débarrasser toutes ces merveilles. On a lavé, nettoyé, re-étiqueté les quelque 600 cartons de présentation des boutons avec une brosse à dents.
Une machine extraordinaire et unique à Lausanne !
« J’ai fait l’acquisition d’une machine à recouvrir les boutons de tissus. Désormais je suis la seule à pouvoir faire du bouton recouvert à Lausanne. Leur dimension varie de 10 mm à 4,5 cm. Quoi de plus beau pour agrémenter une robe de mariée que de décoratifs petits boutons en tissus fermant le dos de la robe… ». Démonstration avec un bouton placé avec du tissu au centre d’un cylindre.
Les souhaits de Marjorie : trouver des rubans spéciaux qui sortent de l’ordinaire, des boutons originaux, très beaux, très “classe”, pas trop cheap…
Un peu d’histoire…
Les peintures du XIIèmesiècle démontrent que les boutons servaient à attacher les manches des vêtements féminins, tandis qu’ils étaient totalement absents du devant et du dos des vestes. Ce n’est qu’à la fin du XIXèmesiècle que les boutons… percent dans le monde de la mode féminine.
Vers la fin du XVIIèmesiècle, les vestes masculines s’allongent pour permettre de riches boutonnages, avec boutons en or, en pierres précieuses. Au XVIIIèmesiècle, Louis XV impose le bouton estampé d’or sur les costumes de l’armée et de la marine. Les corporations de boutonniers sont inscrites au registre des métiers au même titre que les artisans qui fabriquent des bijoux ou des chaussures.
Les matériaux sont multiples : bronze, jade, bois, verre, céramique, laiton, cuivre, zinc, fer, étain, pierres ou métaux précieux, et nacre, le matériau longtemps le plus utilisé. On découvre même, dans les années 1940, un bouton haute couture en peau d’éléphant…
Si les boutons ne sont pas estampillés, on retient quelques exemples : ainsi, François Hugo, arrière-petit-fils de Victor Hugo, a créé des boutons pour la haute couture, notamment pour Elsa Schiaparelli et Jacques Fath.
L’Atelier Casaquin, la boutique qui manquait à Lausanne, c’est 4’689 sortes de boutons, 17 kilomètres de galons…
Boulevard de Grancy 21b / 1006 Lausanne / tél. 079 528 62 67
Texte et photos : Françoyse Krier