
Il y a 200 ans, Victor Hugo découvrait la Vallée de Chamonix…
Depuis les débuts du tourisme dans la vallée de Chamonix en 1741, l’engouement de la période romantique et la mode des voyages en montagne font que des visiteurs célèbres – peintres, poètes, écrivains – se sont succédé pour admirer les paysages spectaculaires. Parmi les grands auteurs, Goethe (1779), François-René de Chateaubriand (1805), Percy Shelley (1816), Byron (1816), Victor Hugo (1825), Alexandre Dumas (1832), John Ruskin (1833), George Sand (1836) ou encore Charles Dickens (1846) se déplacent pour découvrir la Mer de Glace.
En juillet 1816, accompagnée de Lord Byron et de Percy Shelley, son futur mari, Mary Shelley est transportée d’admiration lors de sa visite à la Mer de Glace. Au Montenvers, ils subissent une tempête qui lui inspire ces lignes : « je sentis la présence de Dieu, et je compris ce qu’avait été le chaos duquel ce monde admirable avait été tiré ». La créatrice du roman “Frankenstein” situe une partie de cette histoire autour de la Mer de Glace. Atmosphère…

En 1825, Victor Hugo, âgé de vingt-trois ans, peut s’enorgueillir d’une carrière littéraire bien amorcée qui le place au premier rang des nouveaux poètes romantiques, dont il deviendra le chef de file incontesté. Cinquante lettres échangées entre Victor Hugo et Charles Nodier (écrivain, romancier et futur académicien français), de 1823 à 1835, témoignent d’une amitié parfois purement formelle entre les deux hommes.
En 1825, ils décident de voyager ensemble vers les Alpes et la Suisse. Victor avec son épouse Adèle et leur petite fille Léopoldine (alors âgée d’un an), accompagnés de la gouvernante du couple Nodier et de leur fille Marie, qui avait quatorze ans. Victor Hugo prend des notes, publiées dans un premier temps dans la Revue de Paris (1829) puis dans la Revue de Deux Mondes (1831), également présentées sous le titre de “Deux fragments d’un voyage aux Alpes”. C’est le 15 août 1825, fête de l’Assomption, que le jeune Victor Hugo, famille et amis arrivent à Chamonix, au pied du mont Blanc. Les visiteurs y passent 3 jours et logent dans l’ancien hôtel d’Angleterre, non loin de l’actuelle Place des Alpes.


dans la vallée de Chamonix

Juin 2025. Librairie Sauvage, Chamonix
La comédienne Mélanie Baxter-Jones et Denis Pivot, guide passionné par l’histoire de l’équipement de montagne, tous deux vêtus comme l’étaient Adèle Hugo et Michel Devouassoux, le guide ayant accompagné Hugo sur la Mer de Glace. Mélanie fait la lecture de passages écrits par Victor Hugo devant un auditoire attentif composé de personnalités chamoniardes, de journalistes… « On loua deux calèches à forfait. C’était ce qu’ on appelait aussi des ” voiturins “, des transporteurs qui, pour un montant déterminé et en vertu d’ un contrat, se chargeaient de véhiculer leurs clients suivant le programme proposé. L’ allure moyenne de ces sortes de véhicules était de quinze à dix-huit lieues par jour, environ 50 km. Ce voyage dura exactement un mois, du 2 août au 2 septembre. » Les voyageurs arrivent à Chamonix par un temps brumeux, et Nodier, qui connaissait déjà la région, dut attendre le beau temps pour présenter le Mont Blanc à Victor Hugo.

Pas de voyage à Chamonix sans excursion au Montenvers. Et pas de Montenvers sans quelques pas sur la glace. « À droite, c’est le Mont-Blanc, dont le sommet fait vivement briller l’arête de ses contours sur le bleu foncé du ciel, au-dessus du haut glacier de Taconay et de l’Aiguille du Midi, qui se dresse avec ses mille pointes ainsi qu’une hydre à plusieurs têtes. Au-dessus de cette forêt, l’extrémité de la Mer de Glace, dépassant le Montanvert comme un bras qui se recourbe, penche et précipite ses blocs marmorés, ses lames énormes, ses tours de cristal, ses dolmens d’acier, ses collines de diamant, dresse à pic ses murailles d’argent, et ouvre dans la plaine cette bouche effrayante, d’où l’Arveyron naît comme un fleuve, pour mourir un mille plus loin comme un torrent. (…) Si quelquefois le chasseur de chamois, entraîné par l’ardeur de sa poursuite jusque dans cette gorge formidable, arrivait au point même où nous sommes, il embouchait avec un tremblement d’horreur la corne à bouquetin suspendue à sa ceinture, et faisait entendre trois fois l’appel magique : hi ! ha ! ho ! trois fois, une voix lui rapportait distinctement des profondeurs de l’horizon la triple adjuration : hi ! ha ! ho ! »
Danger réel ou imaginaire ?
Le 16 août 1825, la petite troupe engage deux guides avec leurs mulets pour éviter aux dames la fatigue de la marche. Après 3 heures de montée, ils arrivent au Montenvers. Tandis que les dames trouvent refuge dans le Temple de la Nature, où un guide vend du lait parfumé au kirsch, des pierres et des cristaux de roches, le futur auteur des Misérables manque de disparaître au fond d’une crevasse de la Mer de Glace…
Pour traverser le glacier, il prend comme guide Michel Devouassoux, nouveau dans le métier, qui se trompe de passage et l’entraîne sur « une mince tranche entre deux abîmes ». Le guide, tout pâle, saisit la main de Victor Hugo et lui dit : « Ne craignez rien. » Il n’y avait pas place pour deux de front : le guide n’ayant qu’un pied sur le niveau, marchait de l’autre côté sur la pente glissante du gouffre. « Il faut que nous nous quittions la main », dit-il. « Restez appuyé sur votre bâton, et fermez les yeux de crainte du vertige. » Il grimpa au mur de glace et après quelques secondes, se pencha, lui tendit les deux mains et l’enleva lestement […]. Le guide de Charles Nodier devina l’imprudence commise et réprimanda durement le jeune Devouassoux. Il n’ y a pas trace, dans l’œuvre de Victor Hugo, d’un incident de ce genre. Ceux qui le rapportent, quarante ans plus tard, sont deux témoins qui ont réellement fait alors le Montenvers : Mme Victor Hugo et la jeune Marie Nodier.

des alpinistes



à marquer les bâtons
des alpinistes comme preuves
de leurs parcours
L’émotion à son comble
Selon l’obligation de faire attester par le voyageur la manière dont il a été conduit par son guide, le poète écrivit sur son livret : « Je recommande Michel Devouassoux qui m’a sauvé la vie ». Malgré cette « grosse frayeur », Victor Hugo a apprécié sa découverte de la vallée de Chamonix et laisse de belles descriptions des paysages et des glaciers. Le 2 septembre, Nodier rentrait à l’Arsenal et Victor Hugo à son appartement de la rue Vaugirard. Il leur restait respectivement vingt-deux et dix-huit francs.
Là-haut, au Montenvers, en ce mois de juin 2025, le guide de montagne Denis Pivot, passionné par l’histoire du matériel de montagne, racontait avec émotion à la presse la découverte de l’authentique bâton de Balmat, utilisé par Jacques Balmat lors de la première ascension du mont Blanc en 1786. Et qui figurera au futur Musée du Mont-Blanc (ex-Musée Alpin).




et H.B. de Saussure
