Elle ressemble à un grand paquebot se découpant sur fond de ciel bleu, au milieu d’une verdure abondante. La villa Cavrois à Croix, dans la région de Roubaix-Tourcoing, qui a failli finir en résidence chic ou en friche, a été restaurée à l’identique.
Réalisée entre 1929 et 1932, la villa est commandée par Paul Cavrois à l’architecte Robert Mallet-Stevens pour une famille comprenant sept enfants et le personnel de service. Elle est pensée comme une œuvre d’art de 1840 m2, recouverte de briques de parement jaunes fixées sur une ossature en béton armé, spécialement fabriqués pour la villa, et sur deux murs de brique rouge.
De 1940 à 1944, la villa est occupée par les troupes allemandes et subit des dommages à la fin de la guerre. A son retour, Paul Cavrois fait construire deux appartements autonomes pour deux de ses fils. La villa est habitée par la famille jusqu’en 1986. L’année suivante, elle est vendue à un spéculateur immobilier qui projetait la destruction de la villa pour laisser place à un lotissement. Projets abandonnés, comme la villa laissée à l’abandon pendant quinze ans. La demeure est alors squattée, pillée et saccagée par des récupérateurs de matériaux.
En 2001, la propriété se retrouve en péril grave. Rachetée par un spéculateur immobilier la même année, les projets de ce dernier, prévoyant la destruction de la villa pour laisser place à un lotissement, se voient contrariés. La villa est alors laissée à l’abandon: quinze ans de vacuité qui laisse la demeure, squattée, pillée et saccagée par des récupérateurs de matériaux, dans état exsangue. L’Etat l’achète et, en 2008, la confie au Centre des Monuments nationaux. La villa ouvre ses portes au public en 2015, après 12 années d’importants travaux de restauration.
Air, lumière, travail, sports, hygiène, confort et économie…
Tel était le programme souhaité par Paul Cavrois. Pour sa demeure, il affiche sa volonté de se démarquer des constructions traditionnelles en faisant appel à un architecte qui a fait sensation à l’Exposition internationale des Arts décoratifs de 1925. Le 6 juillet 1932, le couple Cavrois inaugure sa grande maison jaune.
Conçue comme une œuvre totale, la villa Cavrois abritait du mobilier dessiné par l’architecte lui-même ou subtilement choisi auprès d’autres designers. La lumière y est reine…
Dès l’entrée dans le hall salon, le regard se porte sur les meubles dessinés par Robert Mallet-Stevens, par le jeu des matières et des couleurs comme cette teinte verte de murs qui accompagne le visiteur de la demeure vers la nature…
Œuvre emblématique du grand salon, le tapis en laine nouée (fait main, 60’000 noeuds par m2) était placé au centre de la pièce dont la longueur s’aligne dans le prolongement de l’axe du miroir d’eau. Cette orientation a clairement été choisie pour amplifier la sensation de vue filante sur l’extérieur. Plusieurs pièces de mobilier se trouvaient sur le tapis : fauteuils, chaises et une table basse suivant cette même direction. Dans cette pièce, tout est pensé pour donner envie d’admirer le parc depuis les vastes baies.
La table de la salle à manger, massive par son volume, a été réalisée en panneaux plaqués de poirier noirci et laqué. Le miroir invite ceux qui sont assis de dos à admirer le jardin. L’ensemble est complété par 9 chaises en cuir rachetées aux enchères à Paris, dans une vente publique en 2018.
En 2015, Sotheby’s organisait une vente à New York dont deux ensembles du mobilier originaire de la villa Cavrois : une paire de chaises de bureau de Paul Cavrois et deux tables carrées en noyer et à double plateau ainsi que huit fauteuils provenant du hall-salon. Le Centre des Monuments nationaux ne pouvait manquer une telle opportunité de redonner à ces pièces de mobilier leur place d’origine. Aujourd’hui ce mobilier participe à recréer l’ambiance intérieure que l’architecte avait imaginée.
Le bureau de Paul Cavrois avec son coffre-fort, ses boiseries en poirier naturel vernie donne accès au fumoir décoré d’acajou de Cuba.
Au sol, du carrelage noir et blanc.
Dernières innovations techniques, géométrie et luxe
La cuisine et l’office sont pensés comme des espaces fonctionnels : murs et sols couverts de carreaux en céramique facilement lavables. Les éviers sont équipés de trois robinets : eau chaude, eau froide et eau adoucie pour préserver les verres en cristal des traces de calcaire.
Chaque chambre de jeune homme possède sa salle de bain. Celle des parents comporte une partie bain et une zone d’habillement avec rangements intégrés, installation de pèse-personne intégré dans le mur, douche monumentale, jets d’eau incorporés dans la douche, robinetteries et pieds de lavabo chromés. Dans la chambre des parents et le boudoir, la quasi-totalité du mobilier plaqué de palmier, de sycomore est d’origine.
L’escalier à volée droite offre une vue splendide sur le jardin grâce à une grande baie en demi-cercle. La cabine d’ascenseur est équipée de portes signées du lorrain Jean Prouvé.
Chambre de jeu : les deux tables et huit chaises en acier tubulaire conçues par Marcel Breuer, architecte et designer formé à l’Ecole du Bauhaus à Weimar, s’associent parfaitement aux plaques d’aluminium qui filent en partie basse des murs.
Grâce à leur acquisition en 2015 auprès d’une galerie parisienne, le bureau et ses deux chaises viennent enrichir le circuit de visite. Dessiné par Robert Mallet-Stevens, cet ensemble se destinait à une salle d’étude des enfants – ici, celle des jeunes filles. Le verni de couleur s’avérait différent pour les chambres : bleuté pour celle des jeunes filles, jauni pour celle des garçons, rougi pour celle de la gouvernante. Retrouvant sa place d’origine, le mobilier remémore l’ambiance studieuse des années 30 que devait superviser la gouvernante… L’aile des enfants et de la gouvernante comporte deux salles de bain et trois chambres équipées. La partie salle de jeu est surmontée d’une rambarde pouvant servir de petite scène.
Lignes épurées, matériaux novateurs, intégration de toutes les dernières innovations techniques… Un art qui atteint son paroxysme avec la prise en compte de chaque détail et de leur correspondances avec les autres éléments de décor. Rien n’est laissé au hasard jusqu’au cache-radiateur ou les poignées dont la hauteur est calculée en fonction de tous les autres éléments de la pièce.
Traditionnel élément de ferblanterie, le mobilier de jardin est également revisité par Robert Mallet-Stevens. L’assise reste un éternel défi qu’en fin designer il souhaite relever, tout en assurant l’ergonomie de ses pièces. L’esthétique moderne se déleste de l’ornement végétal pour s’émanciper de l’esprit romantique souvent présent dans les jardins.
Au sous-sol, se trouvaient une buanderie, avec sèche-linge, machines à laver et à repasser, chaufferie, deux caves à vins, espaces pour préparer des bouquets de fleurs, conserver les malles, ranger le matériel de sport, garage pour deux voitures. Dans l’un d’eux est diffusé un film sur la restauration de la villa. Dans la cave à vins transformée en matériauthèque, sont exposés des exemples de matériaux utilisés dans la villa.
A partir de 2003, l’Etat entreprend un vaste chantier de restauration en plusieurs phases, qui vise à retrouver l’état historique d’origine de la villa. Le volume initial des pièces et le décors sont restitués à l’identique grâce, notamment, à des photographies anciennes.
Les extérieurs sont aussi l’œuvre de Mallet Stevens. La totalité de la superficie des terrasses représente 830 m2, le miroir d’eau de 72 mètres, comblé pendant la guerre, et le bassin de natation, idéal pour une hygiène de vie saine et sportive, sont restitués à l’identique. Dans la partie est, de vastes espaces étaient utilisés en tant que verger, potager, poulailler, roseraie… La restauration du parc a permis de retrouver le nivelé subtil du terrain d’origine, le tracé des allées et de replanter des espèces végétales identifiées grâce aux photographies.
Jeux de trompe-l’œil évoqués par des compositions jouant avec la symétrie et la répétition, hommage à l’obsession personnelle de Robert Mallet-Stevens pour la précision géométrique et la perfection…
De la cuisine épurée au toit-terrasse, la villa Cavrois est l’un des rares édifices français à l’esprit moderniste des années 30. Tout y était modernité, géométrie et luxe, la marqueterie de bois précieux des sols, les haut-parleurs qui diffusaient la TSF dans les pièces de vie…
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Robert Mallet-Stevens (1886-1945)
Architecte, né à Paris d’une famille d’origine belge, Robert Mallet-Stevens s’intéresse, entre autres, aux réflexions du Bauhaus en Allemagne. Il est l’auteur de constructions emblématiques comme la villa Noailles, à Hyères, d’hôtelés aprticuliers dans le 16ème arrondissement de Paris, de bâtiments industriels, garages, magasins, pavillons d’exposition. Il réalise également les décors d’une vingtaine de films dont L’inhumaine de Marcel L’Herbier. Toutes ses réalisations recherchent la précision géométrique des formes, la simplicité des volumes et la fonctionnalité des espaces. En 1935, Robert Mallet-Stevens est nommé directeur de l’Ecole des beaux-arts de Lille. Selon sa demande, toutes ses archives seront détruites à sa mort.
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La Villa Cavrois, 60, avenue John Fitzgerald Kennedy, 59170 Croix
www.villa-cavroix.fr
