Le 20 septembre 2023, les portes de l’hôtel particulier du 5 bis rue de Verneuil dans le 7ème arrondissement, à Paris, s’ouvraient au public. Une inauguration souhaitée par sa fille Charlotte Gainsbourg qui, après avoir pensé y habiter ou vendre cette maison de 120 m2, décidait d’en faire un musée afin de partager l’intimité des intérieurs gardés intacts, avec toutes personnes souhaitant découvrir l’univers de l’artiste. Visite complétée par le musée d’en face, au numéro 14, une librairie boutique et le Gainsbarre, café et piano-bar.
En 1969, Serge Gainsbourg s’installe à cette adresse, proche du quartier de Saint-Germain-des-Prés, dans l’intention d’y vivre en compagnie de Brigitte Bardot. Ce qui ne se fera pas. Pendant près de dix ans, Jane Birkin partagera dans cette maison, la vie de Serge Gainsbourg, avec ses filles Kate et Charlotte, puis ce sera Bambou, dans les années 1980.
Serge Gainsbourg vécut 22 ans au 5, Rue de Verneuil, il y mourut le 2 mars 1991.
Le 2 avril 2024, date anniversaire de la naissance de Serge Gainsbourg, la maison du 5 bis Rue de Verneuil a reçu le label “Maison des Illustres” attribué par le ministère de la Culture
De son vivant déjà, les admirateurs de Serge Gainsbourg ont commencé à recouvrir de graffitis le mur de cette demeure en passe de devenir célèbre. Mais à la demande des riverains, l’artiste dut, à chaque fois, faire nettoyer le tout. Depuis son décès – et celui de Jane Birkin –, les fans du monde entier viennent se recueillir en taguant les murs désormais recouverts d’inscriptions, dessins et hommages : Un Gainsbourg peut en cacher un autre… La vie ne vaut d’être vécue sans Gainsbourg…
La Maison Gainsbourg se visite deux par deux. Munis de casques géo-localisés, les visiteurs déambulent pendant trente minutes, guidés par la voix sereine de Charlotte Gainsbourg susurrant souvenirs et anecdotes inhérents à chaque pièce, accompagnés d’une bande son originale composée à partir d’un fonds d’archives sonores – discussions entre Jane et Serge, babil by Kate et Charlotte – collectés dans l’intimité des lieux.
Une fois passée le portail de fer forgé, une demande de Charlotte Gainsbourg invite à tourner la poignée de cuivre de la porte de droite et à pénétrer dans un salon tout en longueur. Ambiance feutrée, lumières – Serge laissait les lampes allumées toute la journée –, l’œil qui ne sait où se poser. Murs tendus de tissu noir et plafonds noirs. Au sol, carrelage blanc à cabochons noirs. Encadrements des portes et fenêtres d’un blanc laqué impeccable. Le tout très chic…
L’insolite mis en scène et l’art du bel objet
“Rêvons d’évanescence et abandonnons-nous à la folle beauté des choses” (Okatkura Kakuzo). Voilà qui sied à cet artiste sensible, génial auteur-compositeur-interprète. L’homme aimait les belles choses et s’est entouré, petit à petit, de belles choses. Ce désordre apparent a tout d’un inventaire à la Prévert. « Vivre rue de Verneuil c’était comme vivre dans une galerie d’art », selon Jane. Car une fois trouvée la place de chaque objet, personne n’aura le droit de le déplacer.
Dans un coin, le fameux portrait grandeur nature de Brigitte Bardot réalisé par Sam Levin en 1960. Disques d’or, coupures de presse encadrées, affiches de films, écritoires, flacons de parfums, coiffeuse noir et argent, bar et service à liqueur en forme de citrouille, banquette vénitienne aux accoudoirs en forme de cygnes où l’on peut voir l’empreinte laissée par l’artiste à sa place favorite et au pied de laquelle est posée sa mallette : « Il ne la quittait jamais. Elle était pleine de billets de banque… », raconte sa fille, avec émotion et un certain amusement. Le piano Steinway, sur lequel le maître seul avait le droit de jouer. Un autre piano droit et un orgue. Charlotte pouvait s’exercer pendant des heures. Sur une table, une collection d’écussons, d’insignes, menottes, munitions offertes à Serge Gainsbourg par les forces de police qui souvent, après l’avoir raccompagné, étaient invités à boire un verre.
Au bout du couloir d’entrée, la cuisine qui semble minuscule et où se prenaient tous les repas. Ceux qui franchissaient ce lieu savaient que c’était un privilège et qu’ils faisaient, dès lors, partie du cercle intime de la famille. Un frigo transparent, surprenant à l’époque, des bocaux, des rangées de bouteilles poussiéreuses, un beau lustre à pampilles. Charlotte mentionne la fourchette avec laquelle son père mangeait. « Toujours la même fourchette. C’est la seule chose que j’ai prise chez moi. Un jour peut-être je la ramènerai ici. » Au fond, se trouvait la petite chambre des enfants. Serge souhaitant la louer aux propriétaires mais sans succès, a muré la porte, y plaçant une étagère.
Objets fétiches, souvenirs liés à une maison d’enfance
En sortant de la cuisine, un escalier étroit mène à l’étage. Moquette à motifs de nénuphars, photos de Jane, Bambou, Brigitte Bardot, Catherine Deneuve, Marilyn Monroe accrochées au mur. La penderie encastrée dans le mur contient jeans et vestes, chemises blanches, en denim ou militaires, blazer croisé à boutons dorés, un trench et une dizaine d’iconiques Richelieus Zizi de chez Repetto portés sans chaussettes, été comme hiver. « Il n’avait pas besoin de grand’chose », explique Charlotte. A côté, le dressing de Jane et sa chambre aux tapis persans – devenue par la suite “chambre des poupées” – où Jane était “autorisée à mettre son bordel “ et où Charlotte, elle, était autorisée à jouer. Pendant les week-ends passés ensemble, père et fille se livreront, à de grandes parties de jeux vidéo.
” Montre-moi ton bureau et je te dirais qui tu es…” Celui de Serge Gainsbourg s’avère lui aussi figé dans le temps : rangées de livres et de disques, fascicules de poésie, ouvrages rares, dictionnaires de rimes… Une araignée sous verre, des lunettes, un grand fauteuil de cuir vert, et la machine à écrire auquel l’auteur-compositeur tenait beaucoup…
Tu es une petite Charlotte aux pommes à l’aube aux aurores boréales… (Shuh Shuh Charlotte © Melody Nelson Publishing, 1982)
Charlotte raconte qu’elle s’est vu grandir lorsque sa tête a atteint la boule de verre du long et magnifique lustre pendant du plafond de la modeste salle de bain. Souvenirs des bains pris ensemble, mère et filles, des cheveux de Kate plus longs à sécher et du talc Borotalco saupoudré sur les petits corps à l’aide d’une grande houpette.
La chambre. Noire. En toute intimité… Le lit recouvert d’un jeté de lit en vison et coussins noirs, un banc sirène et une paire de Repetto. Un vaste écran permettait de visionner les films américains. Et l’on les imagine fort bien, tous les quatre, lovés dans ce grand lit carré. Leurs rires, le temps du bonheur...
Charlotte évoque ses parents, leurs soirées passées en boîtes et leur retour au petit matin. Jane arrivant juste à temps pour amener ses filles à l’école et Serge qui se levait rarement avant 13 heures.
La visite se poursuit par le musée, l’expérience se prolonge par le Gainsbarre
De l’autre côté de la rue, au numéro 14, la façade noire, sobre et élégante du musée. Plongée en huit chapitres chronologiques dans la carrière de Serge Gainsbourg et de son œuvre unique et considérable par sa richesse, son ouverture à de nombreux genres musicaux, ses incursions dans le cinéma, la télévision, la publicité, reconnue et célébrée en France comme à l’étranger. Le visiteur découvre les moments forts, parfois méconnus, de la vie et de l’activité créatrice du musicien-poète qui se déroulent tout au long du parcours, de sa naissance dans le Paris des Années Folles à sa disparition en 1991. On peut y voir la célèbre statue L’Homme à la tête de chou de Claude Lalanne (2005), achetée par Serge dans une galerie d’art contemporain et qui lui inspirera son troisième album-concept.
Le musée présente plus de 450 objets issus de la collection de la Maison Gainsbourg : bibelots, vêtements, bijoux, manuscrits dont une lettre de Chopin datant de 1845 : « Je la voulais et je l’ai eue », affirmait son acquéreur. Huit écrans diffusent une sélection rare d’archives iconiques, l’artiste y raconte en voix-off sa propre trajectoire. Au sous-sol, une exposition temporaire : Je t’aime, moi non plus. La librairie-boutique propose une sélection d’ouvrages, vinyles, photographies et pièces iconiques du vestiaire de l’artiste.
Suis-moi jusqu’au bout de la nuit…
(© Tutti, 1966)
Café en journée et piano-bar en soirée, le Gainsbarre est inspiré des premières années de la carrière musicale de Serge Gainsbourg, alors pianiste dans différents cabarets de la capitale : chez Madame Arthur à Pigalle, au Club de la Forêt au Touquet ou encore à Milord l’Arsouille au Palais Royal.
Lieu de convivialité, de diffusion et de programmation, son décor reproduit l’atmosphère du 5 bis rue de Verneuil : murs tendus de noir, moquette aux motifs de pavots et de nénuphars, huisseries blanches et, derrière le piano, paravents de moucharabiehs laqués noir.
Souviens-toi de m’oublier
Mais souviens toi
(© Melody Nelson Publishing/Sidonie 1981)
Expérience intimiste incroyable ! Très bel hommage rendu, plein de tendresse, d’admiration, de pudeur, de respect, empli d’une sensibilité à fleur de peau. Moment de recueillement et d’émotion pure… Telles sont quelques-unes des réflexions entendues de la part des visiteurs à la sortie de l’illustre Maison.
Pour ma part, ma découverte de Serge Gainsbourg eut lieu il y a quelques décennies alors que je faisais mes devoirs sur un coin de table : je me souviens avoir tout arrêté en entendant à la TSF Le Poinçonneur des Lilas. Mélodie singulière, paroles inhabituelles racontant la vie monotone d’un ” gars qu’on croise et qu’on n’regarde pas, qui fait des trous dans des billet de métro, et qui attend de s’évader dans la nature…” Voilà qui changeait des ritournelles habituelles, si jolies soit-elles, et présageait d’un musicien à part, voire d’un génie – qui comparait son profil avec celui de Chopin. Autre rencontre, bien plus tard, lors d’un reportage chez Marc Meneau, à L’Espérance, près de Vézelay. Serge Gainsbourg y avait élu domicile pendant six mois, de juillet 90 à janvier 91 – vers la fin de sa vie – dans une suite très cosy, avec vue sur une verte et sereine campagne. Une relation de petit frère à grand frère, que m’a décrite non sans émotion le regretté Chef.
En aparté : le 14 juillet 2024, le Montreux Jazz Festival (CH) a accueilli l’équipe de la Maison Gainsbourg en vue d’une série d’événements hors-les-murs dédiée à l’œuvre de Serge Gainsbourg.
Pour célébrer ce premier anniversaire, la Maison Gainsbourg s’associe aux Journées européennes du patrimoine, samedi 21 septembre, événement qui a remporté un tel succès qu’il ‘avère complet. Des billets “Maison & Musée” seront exceptionnellement disponibles pour des visites en octobre prochain.
Maison Gainsbourg // 5 & 14, rue de Verneuil // 75007 Paris France
maisongainsbourg.fr
Horaires :
Mardi : 09 h 30 à 21 h – 10 h à 00 h
Mercredi : 09 h 30 à 21 h – 10 h à 00 h
Jeudi : 09 h 30 à 21 h – 10 h à 02 h
Réservations en ligne sur la billetterie du site internet