Karen Grigorian

XIXème arrondissement de Paris. Dans son atelier proche du beau parc des Buttes Chaumont, Karen Grigorian, un des derniers maîtres-plisseurs de France, reçoit très aimablement, heureux de faire part de son expérience, son savoir-faire, sa technique exceptionnelle.
L’œil s’arrête sur un beau fauteuil recouvert d’un kilim fait par les grands parents arméniens, et des cartons à plisser, disposés tels des œuvres d’art le long d’un mur, “moules” de toutes tailles et formes qui donneront le jour à de majestueux « plissés soleil » (plat, classique au nombre de plis qui varie, avec dessins ou fantaisies…), « plissés plats », « plissés accordéons », fleurs… « Cela fait 31 ans que j’exerce ce métier et suis le seul à travailler sans aucune machine. Je fais moi-même les moules, je fais moi-même les plissés ». 

Tribulations et souvenirs…

La famille Gregorian est d’origine arménienne. « Ma mère est née ici, ses parents sont venus après les événement de Turquie. Mon frère et moi sommes entrés dans une maison de plissés située dans le quartier du Sentier. Dix ans dans l’atelier de plissage mécanique Plissé Garbis, avant de rejoindre les réputés ateliers Gérard Lognon. Il y avait de vieux moules qui n’étaient plus utilisés. J’ai demandé si je pouvais les reproduire et c’est ainsi que j’ai appris à en fabriquer. Le patron travaillait plutôt des plissés classiques pour la haute couture et les carrés Hermès. On a commencé à présenter aux clients des modèle plus élaborés qui ont attiré de plus en plus d’intérêt de la part des grandes maisons de couture et de luxe. »

Les grands-parents tisserands créaient des kilims. « Déportés dans un camp de réfugiés en Grèce, ils furent sauvés grâce leur savoir-faire qui leur valut d’être recherchés. Après la 2ème Guerre mondiale, faute de main d’œuvre, Staline a fait appel aux Arméniens. La famille de ma mère a eu la chance de n’être pas envoyée en Sibérie. Mon frère a voulu partir au USA où il vit encore actuellement. » En 2014, Karen Gregorian crée sa propre entreprise “Maison du pli”, soutenu en cela par sa femme et ses trois enfants.  

atelier de Karen Grigorian
des moules - atelier de Karen Grigorian

Haute couture et designers

« En général, ce sont des maisons de haute couture qui passent commande mais je travaille aussi avec des designers qui créent des objets utilisant des matières inattendues tels que plastique, bronze, même des boyaux. Que ce soit des maisons de couture ou des designers, l’objet qu’ils souhaitent créer ne m’appartient pas… Je suis juste un outil entre leurs mains. Ce sont eux qui imaginent la robe ou l’objet, je suis juste le plisseur. Plus les projets sont originaux, mieux c’est pour moi ! Des étudiants qui ont des projets viennent me voir. Ce sont souvent des projets novateurs qui me font réfléchir. »

Certaines demandes paraissent, à première vue, folles et impossibles à réaliser. Un designer peut imaginer un objet qui ne peut prendre forme exactement comme souhaité. Quelques propositions, croquis de Karen Gregorian se rapprochant le plus des idées premières, acceptés ou non, le suivi sera exécuté au mieux. « Le plissage fait penser à l’origami, mais ce n’est pas la même chose. Avec une feuille, il faut faire un objet fini, c’est l’origami. Quant au plissage, deux feuilles doivent s’emboîter parfaitement afin que la belle matière se trouvant à l’intérieur – tissu, papier, cire, bronze, plastique, cuirs, boyau – ne puisse en aucun cas se froisser ».

Karen Grigorian moules en son atelier paris
Karen Grigorian détail moules en son atelier paris
Karen Grigorian gros plan  moules en son atelier paris

« Ces moules sont tous mes enfants de carton. Aucun n’a été détruit et ne le sera jamais. Disponible pour toute proposition, je travaille en ce moment sur des commandes pour une maison de couture ». Karen Gregorian désigne du tissu en partie masqué par du papier d’emballage. « C’est du tissu multicouleur, irisé, magnifique. Je le travaille couleur par couleur ».

Karen Grigorian étuve en son atelier
Karen Grigorian étuve et escalier à la grenade
Karen Grigorian et l'étuve en son atelier
Karen Grigorian étuve détail

De longues heures de travail 

Le maître-plisseur invite à descendre à l’étage plus bas, par le biais d’un escalier orné d’une magnifique rampe au décor de métal ouvragé, travail réalisé par un ami – branches entrelacées portant des grenades en bois, ce fruit étant l’emblème de l’Arménie. En bas, des étagères sur lesquelles son rangés de superbes moules en carton, véritable objets d’art. Et surtout l’impressionnante étuve à vapeur élaborée par Karen Grigorian, d’une hauteur de 2 m 40 : « Mais la partie utile à l’intérieur est de 1 m 70. J’ai acquis trois petites machines que j’ai superposées de manière à ce qu’elles aient une hauteur équivalent à la longueur de ma table, soit 3 m 50. Cette étuve sert à exécuter également des demandes spéciales comme de longues traines de mariée. On m’a sollicité pour des pièces uniques atteignant 5 mètres. Il faudrait alors que je change ma table. Et si j’accepte, par la suite on me demandera une hauteur avoisinant les 10 mètres !! ».

Karen Grigorian a imaginé et mis au point tout le système de création artisanale des plis. Les tissus, cuirs et autres, sont placés dans les moules, entre deux feuilles de carton kraft pliées. Le tout, ficelé et enroulé, mis dans l’étuve à une température entre 80 et 100 °, puis laissés au repos pour donner le temps à la matière de sécher et de prendre une forme définitive. L’étuve est mise en marche le matin et il faut ensuite au moins 3-4 heures, à l’étuve et à la matière plissée, pour refroidir.

Manœuvres délicates

A côté, la coque noire de l’étuve qui servait auparavant et qui marchait au gaz. « Avec le gaz on ne pouvait pas contrôler la quantité de vapeur se trouvant à l’intérieur. On mettait l’eau directement à l’intérieur, elle chauffait contre la paroi… J’ai fait faire des ceintures électriques, acheté un générateur vapeur italien, commandé une armoire électrique d’où je peux faire les réglages, mettre en marche ou arrêter. Selon la matière que je plisse, je peux envoyer plus ou moins de vapeur. Avec l’ancien système, le plastique ou les paillettes des robes fondaient. Quand je me suis mis à mon compte, j’ai pu résoudre aussi ce genre de problème ». 
L’immeuble appartenant à la Mairie de Paris exigeant des normes de sécurité, tout a été conçu sur mesure.

Karen Grigorian démoulage
Karen Grigorian création d'un sac plissé £
Karen Grigorian gros plan sur sac plissé

L’artisanat, c’est tendance…

La dame voulait un petit sac à plis couchés, auquel elle ajoutera des courroies, pratique à emporter en voyage, glisser dans une valise, y mettre des achats. Les plis s’entr’ouvrent alors et le sac s’avère à la fois utile et élégant.

Si le talentueux artisan ne s’est jamais rendu au Japon, le Japon est, en quelque sorte, venu à lui. Une dame japonaise habitant Paris fabrique des chapeaux et confie à Karen les plissés à effectuer. Après quoi, elle vend ses chapeau au Japon. Une Japonaise vivant à Tokyo vient deux fois par an à Paris, confie également les plissés de ses chapeaux à Karen et les vend… en France, en Belgique, en Italie. Et pour toute deux, les mêmes matières : feutre, cuir…

« Chez Garbis et chez Lognon, il y avait surtout des machines. J’ai fait ce choix de ne pas travailler sur machines, c’était un pari risqué et je savais que je prenais des risques. La vie des artisans, c’est un combat à mener tous les jours, pour survivre, pour manger… mais je ne me plains pas. Les gens redécouvrent l’artisanat. C’est tendance ».

Karen Grigorian divers moules atelier
Texte et photos : Françoyse Krier

Pas vraiment un fleuve tranquille que l’installation d’un artisan, même au talent exceptionnel. De plus, le Covid a fait vivre au plisseur des jours difficiles, comme d’ailleurs aux plumassiers, brodeurs et autres métiers de l’ombre, aux talents conjugués d’artisans du décor. Tout était fermé, l’Opéra de Paris, l’Opéra comique, les cabarets, les maisons de couture : pas de défilés, pas de festival de cinéma où les actrices habillées par les maisons de couture… D’où des pertes et aucune subvention pour les artisans qui ne bénéficient pas du statut de “fermeture administrative”.

En 2024, à l’occasion des JO de Paris Karen Grigorian est appelé à être l’un des Ambassadeurs de Paris,
en raison de l’excellence de son travail artisanal.

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La Maison du Pli ~ Atelier : 8, rue des Dunes 75019 Paris  France

Karen GRIGORIAN sera au salon européen des métiers d’art résonance[s],
au Parc Expo de Strasbourg – du 11 au 15 novembre 2021.

En plus de sa présence, le maître plisseur animera une conférence le dimanche 14 Novembre à 14h30
sur “L’art du plissage au service de la Haute Couture”.

www.salon-resonances.com

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