
Comment les artistes ont-ils représenté la forêt ? Quelles vertus, quels pouvoirs, quelle attention lui ont-ils prêté ? Bon nombre d’entre eux ont porté un regard singulier sur l’arbre et la forêt. La Forêt magique, exposition esthétique et militante, éco-conçue est réalisée par le Palais des Beaux-Arts de Lille, en coproduction avec la Réunion des musées nationaux/Grand Palais, dans le cadre de la 6ème édition thématique de lille3000, UTOPIA. Tantôt vénérée et crainte, tantôt protégée et détestée, la forêt inquiète mais elle est aussi le lieu de tous les possibles. C’est le lieu des légendes, des démons et des elfes… Balade à travers différentes facettes de la forêt, à effectuer jusqu’au 19 septembre 2022.
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Passé et présent à découvrir
Dans le hall du musée, deux suspensions monumentales, hautes en couleur également, composées à elles deux de plus de 12 000 tuiles en verre coloré tranchent avec l’architecture classique du bâtiment. Imaginées par le designer italien, Gaetano Pesce, il a fallu près de six mois pour les fabriquer et les agencer sur une ossature en métal.
Considéré comme l’un des plus riches musées de France, ce bâtiment du XIXème siècle
possède des collections prestigieuses de peintures européennes (Delacroix, Rubens, Goya…), de peintures françaises du XIXème ( Courbet, Puvis de Chavannes…), de céramiques du XVIIème et XVIIIème siècles, un important cabinet de dessins, ainsi que d’impressionnantes maquettes du XVIIIème siècle d’une quinzaine de villes du nord de la France et de la Belgique magnifiquement fortifiées par Vauban.
Avant l’humanité, les forêts occupaient l’essentiel des terres émergées de notre planète. Puis les êtres humains, après avoir vécu longtemps en harmonie avec leur environnement, ont aspiré à s’élever par la civilisation : ils ont construit des cités qui ont alors sans cesse repoussé les limites
de la forêt. Les Grecs, puis les Romains, puis les religions monothéistes et l’Occident l’ont regardée comme un lieu de perdition, commençant à déforester, jusqu’aux destructions massives de la mondialisation actuelle. Au moment où nous risquons de les perdre, il est temps de redonner
aux forêts toute leur place.
L’arbre qui cache la forêt
Chaque espèce d’arbre a-t-elle une personnalité ? L’arbre est-il un individu ? Certains arbres sont vénérés, d’autres sont abattus comme un simple matériau utile à notre développement. Les botanistes savent que les arbres dialoguent, forment un écosystème stratégique, intelligent et solidaire, utile à l’ensemble de l’équilibre de la planète. Les artistes ont été parmi les premiers à prendre la défense des forêts, à l’image du peintre Théodore Rousseau qui obtint dès 1861 la protection d’une partie de la forêt de Fontainebleau. Représenter un arbre a toujours été un défi technique pour les artistes.

1923 huile sur toile, 95,5 x 65,5 cm / Helsinki, Ateneum

La Siouva, 2017 / Souche, branches, 260 x 300 cm /
Collection de l’artiste (Photo fk)

Bois de tapumes et pigments, 345 x 235 x 70 cm
Le bois sacré


Dans presque toutes les traditions premières, on trouve un arbre cosmique, intermédiaire
entre le monde souterrain des enfers, la terre et le ciel, un arbre de vie, et plus tard des bois sacrés, sanctuaires protégés. En occident, après la christianisation, la forêt devient profane, souvent hostile, et ne retrouve jamais tout à fait sa place. A la fin du XIXème siècle, l’Europe du Romantisme puis des peintres symbolistes considère à nouveau la forêt comme
un lieu de spiritualité, où les troncs droits et lisses des arbres évoquent des temples mystérieux.


La Cueillette du gui, 1900 / huile sur toile, 116×80 cm / Lyon, Musée gallo-romain de Fourvière

Les Muses, 1893. Paris, musée d’Orsay
La forêt hantée
Malgré elle, la forêt représente depuis des temps immémoriaux l’antithèse de la civilisation, un monde mystérieux, hanté, sombre, archaïque.
La lisière de la forêt constitue la frontière avec le monde civilisé. Au-delà, on entre dans un univers sans règles, éloigné des institutions légales. Pour mieux la soumettre, on y impose des lois particulières, pour mieux la posséder, on la met en coupe réglée, de façon de plus en plus rationnelle
au fil des siècles. La forêt terrifie mais elle est aussi le refuge des hors-la-loi et des fugitifs. Si beaucoup d’entre nous craignent aujourd’hui encore
la forêt, c’est par méconnaissance, parce que nous ne cultivons plus que peude relations avec elle.

« La forêt est barbare », Victor Hugo, Quatrevingt-treize, 1874
Albion – 2017. Mat Collishaw (Nottingham, 1966). Pour tous les Anglais, le vieux chêne de la forêt royale de Sherwood incarne la vieille Angleterre des Celtes,
du temps où elle portait le nom d’Albion. Le chêne quasi millénaire dans l’installation de Mat Collishaw, par le traitement holographique de son image,
semble se dissoudre dans la phosphorescence digitale.

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La forêt enchantée

La forêt inquiète mais elle est aussi le lieu de tous les possibles, celui où l’inanimé peut devenir animé, où les dieux se changent en bêtes, le lieu de toutes les métamorphoses et de toutes les inversions (le hors-la-loi devient un justicier, le sauvage un preux chevalier). C’est le lieu des légendes, des démons et des elfes, souvent innocente et merveilleuse, mais aussi la cachette des amoureux. Si chez le philosophe et mathématicien René Descartes
(1596-1650), la forêt n’est que doute, pour le dramaturge William Shakespeare (1564-1616), elle est souvent innocente et merveilleuse. Chez les artistes, peintres et cinéastes, c’est le lieu de la rêverie, de l’initiation, où l’on rencontre des créatures extraordinaires, des êtres au fond plus naturels que surnaturels, qui non seulement respectent et comprennent la forêt, mais qui vivent en harmonie avec elle jusqu’à en faire partie, révélant ainsi la merveilleuse féérie du vivant.

Frédéric Pillot (Hayange, 1967)

Frédéric Pillot (Hayange, 1967)

La Forêt magique – Palais Beaux-Arts – Place de la république – 59000 Lille
http://pba.lille.fr

