Très prisées dans l’Europe du XVIIème siècle, les indiennes sont des cotonnades imprimées et peintes aux Indes. L’exposition, à admirer au Musée national Zurich jusqu’au 19 janvier 2020, présente une riche collection de tissus indiens et européens, notamment des prêts exceptionnels en provenance de Suisse ou de l’étranger. Elle met également en lumière l’héritage colonial et emprunte les routes commerciales qui reliaient l’Inde, l’Europe et la Suisse.
Toile «Les quatre coins du monde» de la Manufacture Oberkampf à Jouy, env. de 1785. Christophe-Philipp Oberkampf dirige à Jouy la plus célèbre manufacture d’indiennes. Les contremaîtres sont suisses. // Indienne avec arbre de vie, probablement fabriquée à Neuchâtel, env. de 1800. Le roi de France interdit l’industrie des indiennes en France à partir de 1686 pour protéger l’industrie de la soie, favorisant des opportunités en Suisse où des huguenots ouvrent de célèbres manufactures d’indiennes. Photos : Musée National Suisse, ancienne collection Petitcol. // Cotonnier : le coton existait déjà en Inde entre 2600-1900 av. J.-C. Il pousse uniquement dans les régions tropicales et subtropicales, notamment en Asie du Sud-Est et au Proche-Orient.
Le rôle fondamental de l’Inde
Jusqu’au siècle dernier, le coton a été l’une des principales marchandises échangées dans le monde. Le cotonnier ne pousse que dans les régions tropicales et subtropicales, et les étoffes fabriquées à partir de ses fibres sont devenues, avec le coton brut, l’un des produits les plus présents dans les échanges internationaux. L’Inde joua un rôle fondamental, car les artisans indiens avaient développé l’art de teindre et d’imprimer les textiles déjà avant Jésus-Christ. Ces processus restèrent secrets pendant longtemps, avant d’être copiés en Asie et en Europe.
Ornées de motifs, ce qui était alors nouveau, les cotonnades fabriquées aux Indes – que l’on appellera plus tard des indiennes – arrivèrent en Europe au XVIème siècle. Au XVIIème siècle, des entrepreneurs avisés se mirent à les imiter, et le XVIIIème siècle fut témoin de leur fulgurant succès. Les tissus servaient à fabriquer des vêtements, des rideaux et des tapis, ou à recouvrir fauteuils et canapés dans les intérieurs de la haute société. L’engouement fut tel que la France décida de fermer ses frontières afin de protéger son industrie de la soie. Ce faisant, elle ouvrit des opportunités à la Suisse, dont les établissements se firent bientôt un nom dans le commerce des toiles de coton en Europe.
Tenture murale (palempore), côte de Coromandel, Inde, aux environs de 1700-1750. Inspirés par les tentures murales des cours des souverains indiens, des Portugais et des Hollandais commandent des étoffes avec leurs portraits. Photo: Musée National Suisse, ancienne collection Petitcol // Tenture murale (palempore) avec arbre de vie, côte de Coromandel, Inde, aux environs de 1740. Aux XVIIe et XVIIIe siècles, l’arbre de vie est l’un des motifs les plus répandus sur les indiennes destinées à être exportées en Europe. Photo: Rainer Wolfsberger, avec l’aimable autorisation du Musée Rietberg // Etiquette Volkart, aux environs de 1920. L’entreprise commerciale Gebr. Volkart, fondée en 1851, devient à la fin du XIXe siècle l’une des plus grandes sociétés de négoce au monde. A cette époque, elle achète et vend presque uniquement du coton. Photo: archives de la ville de Winterthour, Sign.-Nr. Dep 42/1971
La révolution industrielle du début du XIXème siècle permit aux Européens de fabriquer des étoffes de coton bien meilleur marché. Dès lors, l’Inde exporta la matière première, le coton, pour importer les cotonnades déjà tissées à meilleur prix, ce qui mit en péril son industrie locale autrefois florissante. La pauvreté et la faim s’abattirent sur les petits paysans qui perdirent leur travail. Bombay devint la plaque tournante du commerce du coton et une industrie textile indépendante se développa de manière fulgurante.
Le commerce de l’or blanc
Fabrique de tissu à Calicut, fin du XIXe siècle En Inde, la Mission de Bâle construit des écoles et des hôpitaux, mais aussi des fabriques de tissus et de briques, qui emploient les Indiennes et les Indiens convertis. Photo: archives de la Mission de Bâle, Bâle (QU- 30.016.0045)
Montagne de coton à Khamgaon, centre de l’Inde, aux environs de 1948. Le coton est stocké au centre de l’Inde, acheminé sur la côte puis transporté vers l’Europe par bateau où il sera utilisé. L’entreprise Volkart négocie le coton indien, mais enregistre de lourdes pertes à partir de 1930, suite à la crise économique mondiale et au mouvement pour l’indépendance de l’Inde. Photo: Ernst Würgler, ancien technicien d’exploitation chez Volkart, avec l’aimable autorisation de Madeleine Gerber-Würgler, Winterthour.
Famille avec des employés indiens, aux environs de 1871. Dans les Indes britanniques, les femmes de fonctionnaires, de missionnaires et de négociants européens vivaient à la mode coloniale. Ce style de vie supposait d’avoir de nombreux employés indiens pour tenir la maison. Photo: Sign.-Nr. Dep 42/1809, archives de la ville de Winterthour.
(Visuel en haut de page ) Toile de la manufacture Soehnée l’Aîné & Cie à Munster, aux environs de 1799 La production alsacienne commence en 1746 à Mulhouse. Les manufactures alsaciennes entretiennent d’étroites relations avec les fabriques suisses d’indiennes. Photo: Musée National Suisse, ancienne collection Petitcol.
La maison de commerce «Gebrüder Volkart», qui compta parmi les principaux exportateurs de coton au monde à la fin du XIXème siècle, fonda sa première succursale à Bombay en 1851. A cette époque, la Suisse ne comptait pas que des marchands sur le sous- continent. La Mission de Bâle, société protestante fondée en 1815, envoya des missionnaires convertir les Indiens, en grande majorité hindous. Il lui fallait également financer ses oeuvres sociales, les hôpitaux et les écoles que les missionnaires construisaient. L’argent fut trouvé avec des fabriques de tuiles, de tissus et d’imprimés, ce qui souleva la question âprement débattue de savoir s’il était moralement acceptable qu’une mission gagne de l’argent.
Au XXème siècle, l’industrie cotonnière connut à nouveau un tournant en Inde. A partir de 1930, le khadi – tissu filé et tissé à la main – devint le symbole du mouvement de libération du pays et l’emblème du Mahatma Gandhi. Le journaliste suisse Walter Bosshard immortalisa ces événements. Son reportage photo de 1930 montre Gandhi en train de filer à la main. Les clichés firent le tour du monde.
L’exposition du Musée national Zurich présente une riche collection de tissus indiens et européens, et notamment des prêts exceptionnels en provenance de Suisse ou de l’étranger. Elle décrit aussi la façon dont les entreprises suisses ont fait leur place dans le commerce de l’or blanc : une histoire de destins entrelacés qui montre que l’histoire suisse s’inscrit toujours dans l’histoire du monde.
Les indiennes. Un tissu aux mille histoires
Musée national suisse / Museumstrasse 2 / 8021 Zürich