Le secret des couleurs : à travers l’histoire tumultueuse de la quête de la couleur sur porcelaine en Chine et en France, l’exposition Le Secret des couleurs présentée à la Fondation Baur, musée des arts d’Extrême-Orient, propose de mettre en regard deux moments phares de l’histoire de la porcelaine caractérisés par la volonté d’étendre la palette des émaux : le tournant du XVIIIème siècle en Chine et le XIXème siècle en France. A admirer du 14 septembre 2022 au 12 février 2023.

Bol à décor de fleurs et de rinceaux végétaux.
Bol à décor de fleurs et de rinceaux végétaux. Porcelaine, émaux polychromes sur couverte, d. 12,5 cm, Chine, dynastie Qing, marque et époque Kangxi (1662-1722) ©Fondation Baur, musée des arts d’Extrême-Orient, Genève, photo Marian Gérard 

Bol à décor de rinceaux floraux, yangcai.
Bol à décor de rinceaux floraux, yangcai. Porcelaine et émaux polychromes sur couverte h. 18,5 cm, Chine, Jingdezhen, dynastie Qing, époque Daoguang (1821-1850) © Fondation Baur, musée des arts d’Extrême-Orient, Genève, photo Marian Gérard 
Bol à décor de pêches et chauves-souris.
Bol à décor de pêches et chauves-souris. Porcelaine et émaux polychromes sur couverte d. 14 cm Chine, dynastie Qing, marque et époque Yongzheng (1723-1735) © Fondation Baur, musée des arts d’Extrême-Orient, Genève, photo Marian Gérard 

Bol à décor de fleurs et de rinceaux végétaux. Chine, dynastie Qing,
Bol à décor de fleurs et de rinceaux végétaux. Porcelaine, émaux polychromes et or sur couverte, d. 12,5 cm, Chine, dynastie Qing, marque et époque Kangxi (1662-1722) © Fondation Baur, musée des arts d’Extrême-Orient, Genève, photo Marian Gérard 

Si notre œil a pris l’habitude aujourd’hui de voir une palette infinie de couleurs se déployer sur toutes sortes de supports, du panneau publicitaire au dessin animé en passant par l’estampe et la photographie, il n’en a pas toujours été ainsi. En céramique comme au cinéma, la couleur a fait l’objet d’une quête, parfois longue et fastidieuse, mais souvent source d’une émulation sans précédent.

L’exposition Le Secret des couleurs met en regard deux périodes phares de l’histoire de la porcelaine caractérisées par la volonté d’étendre la palette des émaux : le tournant du XVIIIe siècle en Chine et le XIXe siècle en France, époques lors desquelles les interactions entre les deux pays, qu’elles soient culturelles ou belliqueuses, furent particulièrement intenses.

Dans le tournant du XVIIIe siècle s’opère une véritable révolution chromatique en Chine dans le domaine de l’émail peint : d’une petite dizaine de couleurs, la palette s’étend à une infinité de nuances. L’émail consiste principalement en du verre broyé et un fondant, tel que du plomb, permettant d’abaisser le point de fusion auxquels peut s’ajouter un colorant sous forme d’oxyde métallique. Il s’applique à la surface des céramiques lors d’une seconde cuisson à basse température dans des petits fours dits de moufle.

Vase à décor de papillons et jeté de fleurs, yangcai
Vase à décor de papillons et jeté de fleurs, yangcai 洋彩
Porcelaine, émaux polychromes et or sur couverte,

h. 14 cm, Chine, Jingdezhen, dynastie Qing, marque et époque Qianlong (1736-1795) © Fondation Baur, musée des arts d’Extrême-Orient, Genève, photo Marian Gérard 

Page de l’album des étiquettes des échantillons père Joseph Ly.
Page de l’album des étiquettes des échantillons rapportés par le père lazariste Joseph Ly. Encre sur papier © Archives du musée Céramique de Sèvres, Missions, Asie, Chine, photo Pauline d’Abrigeon 
Vase hexagonal à décor de fleurs circulaires polychromes motifs
Vase hexagonal à décor de fleurs circulaires polychromes motifs. Émaux peints sur cuivre h. 26,8 cm. Chine, Canton, dynastie Qing, marque et époque Qianlong (1736-1795) © Musée Tatiana Zoubov, Genève, photo Pauline d’Abrigeon 

En Chine, les premiers émaux peints voient le jour au XIIIe siècle dans les fours de Cizhou. Jusqu’au XVIIIe siècle, ces émaux consistaient en des aplats de couleur translucide et ne permettaient quasiment pas de nuances, encore moins de mélange entreles teintes. Les wucai 五彩 (litt. « cinq couleurs ») et les doucai 鬥彩 (« couleurs assemblées ») élaborés sous la dynastie Ming(1368-1644) associent au bleu de cobalt sous couverte ces quelques couleurs d’émaux sur couverte : rouge, aubergine, jaune, noir, vert clair et vert foncé.

Sous la dynastie Qing (1644-1911), dans la première moitié de l’ère Kangxi (1662-1722), le bleu est désormais appliqué sur la couverte et le vert occupe une place prépondérante dans les décors. À la fin de l’époque Kangxi, de nouvelles teintes font leur apparition, en particulier un émail blanc opaque qui permit le mélange des couleurs, ainsi qu’un émail rose obtenu à partir d’or colloïdal, une recette connue en Europe sous le nom de « pourpre de Cassius ».
Se basant sur l’observation des porcelaines chinoises d’exportation, deux auteurs français, Albert Jaquemart (1808-1875) et Edmond Le Blant (1818-1897), créent dans les années 1860 les termes de famille verte et de famille rose. Le premier désigne les porcelaines à dominantes colorées vertes de la première moitié de l’ère Kangxi, le second, les porcelaines aux tons carmin produites à partir du début du XVIIIe siècle.

La section qui suit nous conduit à la manufacture de Sèvres près d’un siècle après les expérimentations chinoises sur les émaux colorés. Dès les années 1830, le savant administrateur de la manufacture de Sèvres, Alexandre Brongniart (1770-1847), cherche à obtenir des matériaux et des renseignements sur les techniques de fabrication chinoises en sollicitant marchands et consuls, toutes nationalités confondues, qui auraient l’occasion de se rendre en Chine. Ces tentatives restent vaines jusqu’à ce qu’il entre en contact avec la congrégation de Saint Vincent de Paul, dont les missionnaires lazaristes séjournent en Chine. Le père Joseph Ly (Li Yuese 李約瑟 1803-1854) est finalement mandaté pour recueillir des matériaux en Chine d’où il rapporte terres, pâtes à porcelaine et diverses couleurs d’émaux.

Plat à décor de phénix, famille verte.
Plat à décor de phénix, famille verte. Porcelaine et émaux translucide sur couverte, d. 52 cm, Chine, dynastie Qing, marque et époque Kangxi (1662-1722) © Fondation Baur, musée des arts d’Extrême-Orient, Genève, photo Marian Gérard 
Plat - Porcelaine dite coquille d’oeuf. famille rose
Plat – Porcelaine dite coquille d’oeuf. Décor aux émaux polychromes et à l’or,
famille rose, d. 20 cm , Chine, époque Yongzheng (1723-1735)
© Musee Ariana, Genève, photo Jacques Pugin 

La première salle de l’exposition introduit aux techniques de l’émail, aux notions d’émaux translucide et opaque, aux famille verte et aux famille rose. S’en suit une présentation des porcelaines émaillées chinoises, principalement des règnes de Kangxi (1662-1722), Yongzheng (1723-1735) et Qianlong (1736-1795), qui comptent parmi les fleurons de la collection d’Alfred Baur et qui illustrent sur plus d’un siècle le déploiement de la couleur sur porcelaine. La nouvelle palette élaborée dans les ateliers impériaux atôt fait de s’exporter depuis le port de Canton, à travers les porcelaines et les émaux sur cuivre spécialement conçus pour le marché occidental.

Le deuxième volet de l’exposition se déroule un siècle plus tard en France, à la manufacture de Sèvres où les couleurs chinoises longtemps convoitées pour leur éclat sont ardemment recherchées. Missionnaires, chimistes, consuls de France en Chine œuvrent successivement à rapporter des échantillons pour percer les mystères des techniques de fabrication chinoises.

Deux coupes sur pied Porcelaine Manufacture de Sèvres- Fance Franck
Deux coupes sur pied haut  – Fance Franck (1927-2008) Porcelaine de la Manufacture de Sèvres. Décor et fond rouge de cuivre.
Gauche : h. 22,7 cm, 1973 ; droite : h. 22,9 cm, 1978 © Atelier Fance Franck, collection Jean d’Albis, photo Nicolas Foucher 

La dernière partie de l’exposition ouvre la voie à des recherches plus contemporaines sur la couleur, celles, tout d’abord, de Fance Franck (1927-2008), qui à partir de la fin des années 1960, collabore avec la manufacture de Sèvres pour retrouver le fameux« rouge frais », ou « rouge sacrificiel », maîtrisé par les potiers de Jingdezhen quelques siècles plus tôt. Puis, ce sont les œuvres de Thomas Bohle (né en 1958), influencé notamment par la céramique d’époque Song (960-1279) et qui s’oriente vers des formes épurées aux couvertes chatoyantes.

Affiche Le secret des couleurs

Céramiques de Chine et d’Europe du XVIIIème siècle à nos jours

8, rue Munier Romilly – 1206 Genève // Tél. + 41 (0)22 704 32 82
www.fondationbaur.ch

Ouvert de mardi à dimanche de 14h à 18h (lundi fermé), jusqu’à 20h lors des visites commentées publiques.
Visite commentée publique (sans inscription) à 18h30 – Le jeudi 22 septembre 2022 et les mercredis 5, 19 octobre, 2, 16, 30 novembre, 14 décembre 2022, 11, 25 janvier, 8 février 2023.
Visite sur inscription avec la commissaire Pauline d’Abrigeon– Vendredi 14 octobre 2022 et jeudi 19 janvier 2023 à 14h30.
Conférences sur inscription à 18h30 (gratuites pour les Amis du Musée) – Jeudi 27 octobre 2022, Pauline d’Abrigeon, La quête des couleurs chinoises à la manufacture de Sèvres au XIXe siècle.
Mardi 22 novembre 2022, Estelle Fallet, Echanges entre Chine et Europe : horlogerie et émaux de Genève, mécanique et décors
Mardi 31 janvier 2023, Tang Hui, Colour Matters: The Consumption of Overglaze-enamelled Wares in Eighteenth-century Europe (in English only / donnée en anglais.

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