Conserver, restaurer, étudier sont les missions premières d’un musée soucieux de transmettre un patrimoine vivant. Marc-Olivier Wahler, directeur du MAH, Frédéric Elsig, professeur d’histoire de l’art et de muséologie à l’Université de Genève et Victor Lopes, conservateur-restaurateur de peinture au MAH, étaient ” fiers de présenter à la presse la nouvelle exposition De bleu, de blanc et de rouge. Les peintures françaises du XIXe siècle du MAH. Cette exposition basée d’abord sur des recherches et une collaboration avec l’Université de Genève, met en valeur les œuvres qui parlent des collectionneurs particuliers. ”
Ce programme de valorisation des peintures françaises du XIXème siècle (1800-1918) comprend l’étude complète d’un corpus de 212 tableaux ainsi qu’une campagne de conditionnement de l’ensemble du fonds, la restauration fondamentale de 35 peintures et leurs encadrements, ainsi que de
3 sculptures. Cette exposition temporaire se divise en quatre chapitres, les deux premiers consacrés à des collections privées, les deux autres au patrimoine de la collectivité genevoise. A voir jusqu’au 18 août 2024.
Parcours de l’exposition
Brillamment commentée par Frédéric Elsig, professeur d’histoire de l’art et de muséologie à l’Université de Genève, la visite se déroule tout au long des différents chapitres : le premier se concentre sur le collectionneur Jean-Gabriel Eynard, incarnant à lui seul le néo-classicisme, qui réunit dans son palais genevois un remarquable ensemble de peintures (Fabre, Boguet, Horace Vernet, etc.) et de sculptures.
Le deuxième chapitre met à l’honneur deux collectionneurs de la seconde moitié du XIXème siècle marqués par le goût du voyage : Gustave Revilliod fondateur du musée Ariana, légué à la Ville en 1890 (le fonds ancien des peintures du MAH provient pour la moitié de Gustave Revilliod) et Walther Fol moins connu, qui a fondé à Genève l’important musée Fol antiquités, arts appliqués, et) et qui avait gardé chez lui – à Rome puis à Spolete – une importante collection de peintures françaises, italiennes et espagnoles du XIXème siècle. A sa mort, Genève ayant refusé sa collection, une partie de celle-ci fut dispersée.
Le troisième chapitre concerne le Musée Rath inauguré en 1826. Acquis par l’Etat en 1859, les tableaux Nymphe couchée à la campagne et Un soir à Ville-d’Avray, de Corot, présentés à l’exposition cantonale de Genève, sont les premières acquisitions institutionnelles hors de France de l’artiste. Trois autres tableaux de l’artiste, légués par son ami le peintre Jean-Gabriel Scheffer, les rejoindront en 1876. Un Sisley en 1912, un Pissarro en 1915, un Van Gogh en 1917, un Renoir en 1923, un Monet en 1932. Le Barrage du Loing à Saint-Mammès, d’Alfred Sisley est la première oeuvre de Sisley a entrer dans un musée suisse (Wuppertal) puis fut vendu au musée genevois par Alphonse Creux (1858-1924), collectionneur et marchand d’art vivant à Lausanne. Cette acquisition lui permettra de commencer à présenter “l’évolution de la peinture contemporaine”.
Tous les autres impressionnistes sont essentiellement entrés en bloc : une trentaine seulement, entre 1980 et 1990, notamment à travers le dépôt de deux importantes fondations : la Fondation Jean-Louis Prevost, qui fait entrer au musée la collection du banquier Jean Lullin et la Fondation Garengo, soit la collection d’Ernst et Lucie Schmidheiny.
Dans les salles de la collection permanente, quelques tableaux du corpus sont mis en évidence et complétés notamment par un important tableau La Terrasse de Méric, 1867 par Frédéric Bazille (ci-contre), prêté par le Petit Palais de Genève.
Outillage du peintre ~ Perception des couleurs par l’artiste
Victor Lopes, conservateur-restaurateur de peinture détaille les différentes phases du métier de peintre : l’atelier, le matériel, le pleinairisme. “L’artiste dégage des heures de travail en amont pour la préparation de la pose, du drapé avant que le ou la client-e ne vienne poser quelques heures aux fins d’une ébauche”. On peut voir le petit meuble appartenant à Théodore Géricault qui contenait son matériel de peinture et qui a été présenté en en 1924 – il y a 100 ans – lors du centenaire de la mort du peintre.
Chevalet, palette, magnifique écorché très utile au travail de l’artiste pour l’étude de l’ossature, de la musculature…
Présentation intéressante de couteaux à palette, couteaux -truelle, grattoirs, pinceaux-brosse, pinceaux montés en plume. L’apparition des pinceaux “brisé à viroles de cuivre” ont été une révolution qui permettait aux peintres de créer de grands aplats colorés.
A découvrir aussi une sélection de pigments et de laques correspondant aux couleurs utilisées par les peintres depuis le XIVème siècle en Europe, à l’exception du jaune de Naples (début XVIème et du bleu de Prusse début XVIIIème. Réduites en poudre, les couleurs sont ensuite détrempées avec un jaune d’œuf ou une colle animale (technique à l’eau), soit liées avec une huile végétale siccative (lin, œillette ou huile de noix (technique à l’huile), avant d’être déposées sur une palette en bois. Ces couleurs vont être progressivement remplacées par des couleurs issues de l’industrie chimique, produites tout au long du XIXème comme le jaune de Naples remplacé par le jaune de cadmium, le bleu outremer naturel (très couteux) par un outremer artificiel ou “bleu Guimet” (dès 1831)…
De nombreux traités techniques, dictionnaires et commentaires liés au métier du peintre, parurent au XIXème siècle. Le Manuel des jeunes artistes et amateurs en peinture, édité en 1827 à Strasbourg et Paris par le peintre genevois Pierre-Louis Bouvier et le Traité complet de la Peinture, édité en dix volumes entre 1829 et 1851, par Jacques-Nicolas Paillot de Montabert demeurent des ouvrages de référence sur les périodes néoclassique et romantique.
Quand le tube libère l’artiste
La grande invention du XIXème siècle a été sans nul doute l’apparition du du tube : en 1841, un Américain vivant en Angleterre fait breveter son invention. La Maison Windsor s’en empare puis en 1857, la Maison Lefranc à Paris codifie le filetage et permet de breveter ce tube. Ce qui libère l’artiste de la préparation des couleurs et lui permet de sortir de l’atelier.
Les artistes voyagent énormément d’où l’on vit apparaître différents instruments de voyage, comme la Chambre claire, inventée par un Anglais en 1806-07, soit un prisme monté sur tubulure en étain doré qui permet de poser rapidement les traits d’un personnage, la silhouette d’un paysage, d’un bâtiment… Les maisons d’opticiens s’emparent du brevet. On peut en faire l’expérience lors de cette exposition.
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Conservation, restauration, traçabilité d’une œuvre
Dans trois cabinets, l’exposition donne à voir (jusqu’au 26 mai) les questions de recherche et les choix de conservation-restauration.
Dans le processus de valorisation d’une collection, chaque œuvre fait l’objet d’observations qui permettent de reconstituer son histoire matérielle et ses transformations depuis sa création jusqu’à son état actuel.
Elle livre ainsi des informations sur son identité et sa traçabilité, complétées par l’imagerie scientifique et les analyses en laboratoire et qui constituent le point
de départ de l’enquête historique.
La mission de la conservation-restauration consiste à étudier l’ensemble d’une collection, à lui garantir les meilleures conditions
de conservation.
La traçabilité d’une œuvre constitue l’une des premières questions abordées dans la notice d’un catalogue de collection. Elle consiste à retracer l’itinéraire d’une œuvre depuis sa création jusqu’a son lieu actuel de conservation, en accordant depuis quelques décennies une attention particulière à la période des spoliations du IIIème Reich comme c’est le cas pour “La Jeune femme à la Fontaine” de Corot. Elle se fonde d’abord sur des indices internes à l’œuvre dont le revers comporte souvent des inscriptions, des marques de collectionneurs, des étiquettes d’exposition ou des tampons.
La toile de Gustave Courbet “Fleurs sur un banc” porte le numéro « MNR 191 ». En France, l’acronyme MNR signifie « Musées nationaux récupération ». Il est accolé à environ 2200 œuvres qui, n’ayant pas pu être restituées après la seconde Guerre mondiale, ont été confiées à la garde nationale. Cette dernière a pour mission d’identifier les propriétaires de ces objets spoliés et de les restituer. La base de données qui documente et diffuse l’historique de ces œuvres consigne que Fleurs sur un banc « appartenant à Monsieur Paul Rosenberg, demeurant à Paris (7°), 33 quai Voltaire, [a été] spolié par les Allemands pendant l’occupation, récupéré en Allemagne, et restitué le 19 juin 1951 ». Le numéro MNR permet ainsi de certifier que la provenance de cette œuvre a été régularisée.
Cette collaboration entre l’Université de Genève et le MAH a mobilisé de plus de 60 chercheurs et 40 étudiants sur trois ans (2020-2023).
Exposition De bleu, de blanc et de rouge. Les peintures françaises du XIXe siècle du MAH
A voir jusqu’au 18 août 2024
Du mardi au dimanche de 11 h à 18 h
Les jeudis, nocturnes de 12 à 21 h
MUSÉE D’ART ET D’HISTOIRE Rue Charles-Galland 2 – CH-1206 Genève Tél. : +41 (0) 22 418 26 00 mahmah.ch |