Lorient ~ Musée de la Compagnie des Indes Un brin de panache

Les paroles de l’homme sont comme la flèche qui va droit au but,
celles de la femme ressemblent à l’éventail brisé. (Proverbe chinois)

L’éventail, objet de parure devenu indispensable des cours européennes au 17ème siècle, prend une allure exotique grâce aux importations de Chine au 18ème siècle. Compagnies et armateurs font tous commerce des éventails chinois d’exportation, mais aussi des matières premières (nacre, laque, ivoire, écailles de tortue) destinées aux éventaillistes européens.

Les éventails importés de Chine, accessoires indispensables de l’élégance dans les cours des 17ème et 18ème  siècles, furent importés par milliers par les compagnies des Indes. Ils étaient commercialisés par les compagnies en gros, lors des ventes organisées à Nantes puis à Lorient. La pacotille pratiquée par les équipages était également à l’origine du transit de ces objets à bord des navires de la Compagnie.

Les Factoreries de Canton entre 1848 et 1856.Le commerce des éventails de Chine

Pendant un siècle, les Portugais sont les champions occidentaux du commerce d’Asie. A Lisbonne, port européen, sont déversées les marchandises prestigieuses et exotiques. Et parmi elles, les éventails.
La reine du Portugal, Catherine de Austria en offre à son entourage et contribue ainsi à diffuser, en Europe, la mode d’un petit objet d’apparat qui incarne à lui seul la puissance du royaume du Portugal, maître du commerce asiatique.
La tradition historiographique française attribue à la reine Catherine de Médicis (1519-1589), contemporaine de la reine Catherine de Austria, le lancement de la mode des éventails à la cour française.

Objet de parure devenu indispensable des cours européennes, l’éventail prend une allure exotique grâce aux importations de Chine. Les éventails et les feuilles d’éventails de Chine sont vendus directement à Nantes. L’irruption des marchandises chinoises dans le royaume entraine dès 1700, une plainte des éventaillistes, tabletiers, ébénistes et faïenciers contre les marchandises étrangères concurrentes, peu taxées. La compagnie perpétuelle des Indes importe entre 3’000 et 5’000 éventails de Chine, par an, dans les années 1730 et au début des années 1740. Principalement des éventails de bambou laqué ornés de feuilles peintes à décor de fleurs, d’oiseaux ou de personnages. Les plus luxueux sont en nacre et en ivoire repercé. Les Compagnies importent également les matières premières de Chine, brins de bambous, laque, écaille de tortue, nacre, feuilles peintes, qui permettent aux éventaillistes français de développer leur art. Que ce soit par les ventes officielles, le petit port-permis et la fraude à la pacotille, les éventails ont trouvé leur place dans les cargaisons venues de Chine pour aller ensuite parer les élégantes du royaume. Ces petits objets combinent préciosité et luxe. Malgré leur fragilité, ils incarnent le charme du lointain, l’exotisme d’Orient…

(Visuel ci-dessus : Les Factoreries de Canton entre 1848 et 1856. Ateliers de Canton, huile sur toile. Vers 1850 (MCI) @Musée de la Compagnie des Indes – Ville de Lorient)

 

Les éventails brisés

Les plus anciens éventails fabriqués en Chine pour l’exportation vers l’Europe sont des éventails brisés, c’est à dire pliants et sans feuille. Ils datent des années 1690. En ivoire, ils sont ornés d’une ornementation peinte d’un registre coloré et décoratif similaire à celui des porcelaines Imari japonaises ou des porcelaines chinoises de la famille verte. Au 18e siècle, les éventails sont composés d’une monture rigide débitée dans l’ivoire, l’écaille de tortue et surtout le bambou mais plus rarement en nacre et en os, exceptionnellement en jade.

« Les Faisans vénérés » Chine,

Les brins d’ivoire et d’écaille de tortue font l’objet d’un travail de reperçage dont la virtuosité force l’admiration, surtout dans le dernier quart du 18e siècle et le premier quart du 19e siècle. L’expression dentelle d’ivoire ou d’écaille est alors toute désignée pour qualifier les prodiges accomplis par les artisans chinois dans ce domaine. Les éventails de bambou sont laqués et reçoivent une décoration noire si le laque est rouge et dorée si le laque est noir. Les spécialistes des éventails datent, au plus tôt des années 1750, les modèles connus, portant des dédicaces, des initiales entrelacées, fruits de commandes particulières.

 

« Les Faisans vénérés » Chine, ateliers de Canton (?), province du Guangdong. Dynastie Qing, règne de Kangxi (1664-1722), vers 1700.
Eventail brisé. Ivoire découpé, repercé et peint (gouache), tête en écaille de tortue, rivure en métal. @ Musée de la Compagnie des Indes – Ville de Lorient (2011.4.1)

 

Les éventails pliés

L’éventail plié se replie sur lui-même. Il est composé d’une monture rigide sur laquelle se fixe la feuille qui, s’agissant des éventails chinois d’exportation, est de papier, de soie, et exceptionnellement au début du 18e siècle, de feuille de mic.

« Les Factoreries de Canton » Chine

Les montures associent souvent l’ivoire pour les panaches et la nacre pour la gorge. Les feuilles vierges de décor sont blanches ou colorées simplement, avec parfois un petit liseré doré au sommet. Les compositions, peintes à la gouache où se mêlent fleurs, rochers, oiseaux, animaux, ou mettent en scène des personnages dans des jardins ou des paysages lacustres. Les éventails pliés, à l’abri de leurs panaches, sont souvent livrés protégés par une petite boîte en bois laqué, dont l’intérieur est parfois capitonné de soie ou orné d’un dessin à la gouache.
Les coffrets du 19e siècle révèlent de temps à autre de précieuses adresses de fabricants.

« Les Factoreries de Canton » Chine, ateliers de Canton (?), province du Guangdong. Dynastie Qing, règne de Qianlong (1736-1795), 1781-1785.
Eventail plié. Nacre découpée, repercée, ciselée, rivure en métal, feuille de papier peinte (gouache). Collection M. Michel Maignan

 

Les éventails mandarins ou cent visages

Ces éventails pliés chinois d’exportation connaissent un grand succès en Europe au 19e siècle. Vivement colorés, ils présentent majoritairement des scènes de palais, de jardins, de terrasses, d’échoppes, de déambulation, etc., qui sont autant de prétextes à figurer une importante assemblée de personnages. C’est pourquoi ils sont aussi dénommés éventails aux cent visages, quand bien même les hommes, les femmes et les enfants qui se pressent dans ces représentations restent largement inférieurs à cent.

« Praia Grande à Macao » Chine

« L’Assemblée aux éventails » Chine

(A gauche) « Praia Grande à Macao » Chine, ateliers de Canton (?), province du Guangdong. Dynastie Qing, règne de Daoguang (1821-1850), vers 1840-1845 (?). Eventail plié. Bambou laqué rouge, noir et or, rivure et bélière en laiton. Œil en ivoire peint. Feuille en papier peinte (gouache). Collection MM. Patrick Lorient et Jean Suire.
« L’Assemblée aux éventails » Chine, ateliers de Canton (?), province du Guangdong. Dynastie Qing, Première moitié du 19e siècle. Eventail télescopique plié. Bambou laqué noir et or, tête peinte, rivure et oeil bronze. Feuille en papier peinte (gouache), appliqués de soie. Boîte en bois laqué noir et or, carton et soie. Don de l’association des Amis du musée. Musée de la Compagnie des Indes – Ville de Lorient (2011.6.1)

Les éventails aux cent visages se caractérisent par l’application de facettes d’ivoire, plus rarement de nacre, sur lesquelles sont peints les visages des personnages. Ils sont appréciés pour leur effet décoratif, la vivacité de leurs coloris, le caractère gracieux des personnages dont les vêtements, parfois réalisés en appliqués de soie, sont une autre source de curiosité. La fabrication des éventails mandarins demeure pour l’essentielle anonyme; toutefois la mémoire de quelques noms est conservée à l’endroit de la production des années 1850.

 

Les écrans et les cocardes

L’écran fixé sur un manche est le plus ancien modèle d’éventail commun à de nombreuses civilisations. Il figure sur des représentations anciennes en Chine, au Japon, en Egypte, en Inde, en Grèce antique, dans des pays où le besoin de s’éventer pour se rafraîchir était utile. En Europe, les écrans servent à protéger le visage des ardeurs des feux de cheminée. Rigides, ils sont plus encombrants que les modèles pliants et n’acquièrent pas en Europe la même popularité que ces derniers.

« Comme un grand soleil blanc » Chine,

« Terrasses chinoises » Chine

A gauche :  « Comme un grand soleil blanc » Chine, Canton (?), province du Guangdong. Dynastie Qing, règne de Jiaqing (1796-1820), 1810-1820. Eventail brisé en cocarde. Ivoire découpé, repercé., sculpté, ciselé. Cartouche monogrammé A.D. Collection M. Michel Maignan.  « Terrasses chinoises » Chine, ateliers de Canton (?), province du Guangdong. Dynastie Qing, vers 1850-1860 (?). Eventail écran. Bambou laqué noir et or, gland passementé . boules de verre. Soie peinte. Collection MM. Patrick Lorient et Jean Suire

Les extraordinaires éventails cocardes expriment le génie des éventaillistes chinois. Ce sont, pour les plus grands, avoisinant les 60 cm d’envergure, des merveilles de maîtrise technique toutes en virtuosité, délicatesse et fragilité. Impossible, pour cette derrière raison, de leur faire jouer le rôle qui a prévalu à leur fabrication : éventer. Ces fascinants chefs-d’oeuvre d’habileté et de patience révèlent l’excellence des artisans éventaillistes chinois, et c’est à ce titre qu’ils sont achetés. Leur fabrication se concentre sur les années 1790 à 1820.

 

Exposition Un brin de panache, Lorient franceChinoiseries et évocation des Indes orientales

Les explorations ibériques du 15e siècle génèrent la mise en connexion des continents africain, américain, asiatique et européen. Nourris de récits de voyages et de marchandises d’outre-mer, l’imaginaire artistique occidental fantasme ces pays lointains, appelés Indes occidentales et Indes orientales. Le voyage de l’Amphitrite à Canton en 1699-1700 cristallise le succès français dans le commerce d’Orient et agit comme un catalyseur sur cet imaginaire activé quatre années plus tôt par la première ambassade siamoise en France. Pour fêter la réussite, un bal chinois est donné à Versailles. En écho à l’amitié que le Roi-Soleil, Louis XIV, déclare au Fils du ciel, l’empereur Kangxi, écrivains et artistes célèbrent la Chine dans leurs créations.

Les motifs extrême-orientaux – pagodes, Chinois, dragons, etc. – viennent parer les productions françaises de soie, de céramiques et animent de vastes programmes décoratifs architecturés dans de nombreux palais ou châteaux des cours d’Europe. Une contre-offensive des artisans tente de reprendre la main sur la production, en proposant des objets imitant les produits concurrents nouvellement importés de l’empire du Milieu. Elle est facilitée par les ornemanistes dont les recueils gravés servent de modèles en matière d’iconographie inspirée de la Chine. Dès les années 1720-1730, les figures de pagodes et de Chinois prennent une allure fantaisiste dans une volonté d’amusement, de surprise, de bizarre qui domine l’esthétique rococo. C’est ainsi que les chinoiseries font leur apparition. Cette grande mode perdure encore en 1776, lorsque Jean Pillement (1728-1808) publie à Paris, le Recueil des fleurs, ornements, cartouches, figures et sujets chinois… d’où naîtra l’inspiration de nombreux artisans.

Dans la jungle de la solitude,
un beau geste d’éventail peut faire croire à un paradis (André Breton)

 

Exposition Un brin de panache, éventails de Chine
jusqu’au 25 novembre 2019
Musée de la Compagnie des Indes Musée d’art et d’histoire de la Ville de Lorient

musee.lorient.bzh

 

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