Château de Prangins exposition Indiennes. Un tissu à la conquête du monde

Avec la nouvelle exposition permanente Indiennes. Un tissu à la conquête du monde, à voir dès le 8 mai 2021, le Château de Prangins croise histoire locale et globale, et révèle l’implication de nombreux Suisses dans des chapitres clés de la période moderne, tels que l’industrialisation, le commerce triangulaire, la colonisation et l’esclavage. L’exposition fait partie du nouveau Centre des indiennes, qui comprend en plus une salle d’études, un carré de plantes tinctoriales au Jardin potager et une importante offre d’ateliers de teinture végétale.

Fort du succès de l’exposition temporaire présentée en 2018 et de l’acquisition par le Musée national suisse de la collection de renommée internationale de l’expert en textiles anciens Xavier Petitcol, le Château de Prangins invite le public à suivre la trajectoire des indiennes sur quatre continents, en s’interrogeant sur l’impact qu’elles ont eu dans les différents centres de production et de consommation. Le parcours emmène les visiteurs de l’Inde au Brésil, en passant par la Suisse, la France et l’Afrique de l’Ouest. Elle montre également à quel point le rôle des Suisses s’avère important dans la renaissance de l’indiennage en France à partir des années 1760.

Château de Prangins - Indiennes. Un tissu à fleurs
Prangins - exposition indiennes Palempore aux ambassadeurs / Inde, côte de Coromandel,
Palempore aux ambassadeurs / Inde, côte de Coromandel, première moitié ou milieu du XVIIIème siècle. Peint et teint par mordançage et réserve, avec poncif pour les bordures.
Château de Prangins - Indiennes. tissu à motifs éléphants

L’impression des indiennes en Suisse

Le musée a choisi des toiles présentant une iconographie en lien avec la Suisse. Certaines témoignant de la popularité de personnalités telles que Jean-Jacques Rousseau ou Jacques Necker. Entre le 17ème et le 19ème siècle, l’impression des indiennes est la principale activité manufacturière de Suisse et fait vivre des régions entières. les tissus imprimés en coton ont propulsé la Suisse parmi les principaux pays producteurs de textiles. La fabrication d’indiennes ainsi que les activités de tissage et de filature ont joué un rôle clé dans l’industrialisation du pays, tout en renforçant son insertion dans le commerce mondial. Malgré cela, les traces de cette activité restent limitées et souvent mal connues.

Château de Prangins exposition Indiennes. Fabrique Neunkirchen
Château de Prangins exposition Indiennes Fabrique au Bied Neuchâtel
(A gauche) Vue de la fabrique de Neunkirchen. Lithographie par M. Smech, vers 1850.
(Ci-dessus) Fabrique et maison de campagne au Bied, au bord du lac de Neuchâtel
(attribué à Samuel de Chambrier), vers 1780 ©Musée d’art et d’histoire, Neuchâtel.

La découverte des voies maritimes va mettre en place à l’échelle mondiale le commerce mondial des indiennes. Des négociants genevois importent des tissus d’Inde pour les vendre à Bordeaux, d’où ils seront envoyés au Brésil pour servir de vêtement à des esclaves africains. Des marchands bâlois s’installent à Nantes pour mieux financer et réunir des cargaisons de traite. Des officiers neuchâtelois se mettent au service de la puissante Compagnie hollandaise des Indes orientales. Des Suisses font travailler des esclaves dans des plantations dont ils sont les propriétaires ou les administrateurs.

Ce contexte particulier explique l’essor des manufactures d’indiennes à Mulhouse, petite république indépendante (rattachée à la France en 1798). En 1746, des négociants mulhousiens financent la première manufacture de la ville, investissant leurs capitaux dans ce nouveau secteur envisagé comme une formidable opportunité commerciale.

Château de Prangins exposition Indiennes femme déportée au Brésil
Château de Prangins Indiennes Brahmane Svani, 1780
(Ci-dessus) Brahmane Svani, 1780. Dessin tiré d’un album de 69 illustrations Mœurs et usages des Indiens
© Bibliothèque nationale de France. (A gauche) Cette femme déportée au Brésil porte autour des reins un pagne
de coton rayé fabriqué en Inde, ce tissu a été improté par des marchands européens.

En Inde, les toiles étaient teintes et peintes. Les Européens qui pratiquaient seulement l’impression, mettront du temps à comprendre leurs techniques. Le secret des indiennes reposait sur le garançage qui permet d’obtenir le rouge et surtout le mordançage, soit l’utilisation de sels métalliques (aluminium ou fer…) qui fixent la matière colorante sur la fibre de coton. 
Les indiennes si agréables à porter présentaient des avantages par rapport aux tissus en vogue à l’époque. On pouvait les laver sans crainte que les couleurs s’estompent au contact de l’eau et de plus, en matière de coût, la gamme proposée s’étendait du bon marché au grand luxe : caracos, fichus, tabliers, à la portée de tous…

Les Compagnies des Indes

Les Indiens préféraient les toiles à fond sombre, les Européens des fonds blancs. Les plus belles indiennes viennent de la côte de Coromandel (Pondichéry et Madras). Pour acheminer ces toiles, les Compagnies des Indes (française, anglaise…) établissent des comptoirs en Inde. Pondichéry sera le principal comptoir français et comptera de très grands entrepôts. Dès le 17ème siècle, les Suisses, pour la plupart mercenaires, seront nombreux à sillonner les mers d’Asie. Les Compagnies des Indes recruteront massivement en Europe et les Suisses vont se retrouver en Inde au service de ces compagnies. Rodolphe Wetter, l’un des principaux Suisses à s’être lancés en France, ouvrira deux manufactures à Marseille et à Orange. Il fera travailler jusqu’à 800 personnes.

Au Bied (Neuchâtel), la fabrique prospérait grâce à l’excellence de leurs produits. Elle comprenait 12 bâtiments et a employé, entre 1770 et 1780, jusqu’à 177 ouvriers. De nombreux étrangers venaient y faire des stages d’étude.

Château de Prangins Indiennes
Mata ni pachedi, tenture de la déesse mère
Château de Prangins Indiennes motifs fleurs oiseau
Château de Prangins Indiennes
Le lion et la chèvre, indienne de traite
Château de Prangins Indiennes Planche de bois pour impression.

Légendes : Mata ni pachedi, tenture de la déesse mère. Coton peint à la main, 2019. Atelier de Chitara Chandrakant, Ahmedabad, Inde. / Compositions aux motifs issus des arts décoratifs : fleurs, chinoiseries… / Le lion et la chèvre, indienne de traite. Nantes, manufacture Petitpierre et Cie, fin XVIIème siècle impression planche de bois. / Planche d’impression en bois.

L’engouement pour les indiennes est tel qu’en France des corporations du lin, de la laine, de la soie, se sentant menacées, s’insurgent contre la forte concurrence de cette nouvelle activité et font pression sur le roi qui, en 1686, finira par en interdire la fabrication et l’importation. Les ateliers d’indiennage existant en France – Marseille, Le Havre, Rouen, Paris, Angers, Orange – ne peuvent vendre leur production qu’à l’étranger. Cette prohibition, plus ou moins respectée, sera levée en 1759.

Château de Prangins Indiennes Lit et tentures en toile de Jouy
Château de Prangins Indiennes Le comptoir de Pondichéry
Château de Prangins Indiennes Toile de Jouy

Le nec plus ultra de la toile imprimée

1685 voit la révocation de l’Edit de Nantes. De nombreux Français vont essayer de rejoindre les pays protestants, passeront par la Suisse où certains s’installeront à Genève, Neuchâtel, Bienne, Bâle… En 1759, la prohibition est levée, mais la fabrication des indiennes est en baisse. Les Helvètes vont se ruer en France pour faire renaître de ses cendres cette industrie. En exemple, la célèbre manufacture de Jouy-en-Josas, près de Versailles, créée par Christophe-Philippe Oberkampf, formé à Bâle, en Argovie et à Mulhouse. Il y emmène les meilleurs artisans de Suisse et investit dans l’impression à la plaque de cuivre permettant seulement une couleur, contrairement à l’impression sur planche de bois.

Vue sur le monde traite négrière  Mémorial de l'abolition de l'esclavage, Nantes.
Mémorial de l'abolition de l'esclavage, Nantes.
Mémorial de l’abolition de l’esclavage, Nantes
Nul ne sera tenu en esclavage ni en servitude; l’esclavage et la traite des esclaves sont interdits sous toutes leurs formes. Déclaration Universelle des Droits de l’Homme
Article 4 – Nations Unies, 10 décembre 1948.

Les années nantaises et la traite négrière atlantique

1770 : années de l’indiennage à Nantes, principal port français sur l’Atlantique si bien qu’un chroniqueur de l’époque l’évoque en tant que “capitale de la traite négrière” : on se rue à Nantes pour être au plus près des bateaux à destination de l’Afrique. De nombreux Suisses, essentiellement des Neuchâtelois, s’y implantent. Un chroniqueur de l’époque mentionne alors que “Nantes est un canton supplémentaire de la Suisse “. Le nom des navires en partance vers les Indes, l’Afrique, en témoigne : Helvétie, Pays de Vaud, Necker…
Les indiennes étaient la principale monnaie d’échange dans la traite des esclaves, aussi les navires quittaient-ils l’Europe vers les côtes africaines avec le trois quart de leur chargement en indiennes. Plus de 27’000 expéditions négrières ont été recensées au départ des ports européens entre le 15 ème et le 19ème siècle, dont plus de 18’000 au départ de Nantes. Les plaques de ce parcours commémoratifs mentionnent le nom des navires négriers nantais et certains des ports où ils firent escale.

Epanouissement des indiennes à Glaris

En raison de la Révolution française et surtout des guerres napoléoniennes, les manufactures d’indiennes vont décliner en Europe et surtout en Suisse. Glaris voit pourtant un épanouissement de la fabrication d’indiennes. A partir de 1820, toute la vallée de la Linth va fabriquer des indiennes prévues pour l’exportation. D’aucuns vont même jusqu’à se déplacer en Indonésie pour repérer les plus beaux tissus, les ramener à Glaris où ils seront copiés puis réexportés afin d’inonder le marché.

Château de Prangins Indiennes Caraco à la française

Caraco à la française, France, vers 1775. Impression: planche de bois.
(c) Musée national suisse

Château de Prangins Indiennes Album d'échantillons Glaris
Château de Prangins Indiennes Album d'échantillons
Albums d’échantillons, fin XIXème,
début XXème

Plantes tinctoriales et ateliers de teinture végétale

La fabrication d’indiennes est une véritable science, dans laquelle les couleurs occupent la première place. Enjeu clé de cette industrie, les recettes de colorants utilisent encore au 18ème siècle des substances d’origine végétale, tels la garance et l’indigo. Tissant un pont entre l’exposition et le jardin potager historique du château, un carré de plantes tinctoriales – garance, gaude, indigo, carthame des teinturiers – invite à la découverte des principales variétés utilisées pour leurs pigments.
Un riche programme d’ateliers alternant théorie et exercices pratiques propose une approche plus sensorielle et actives de l’univers des indiennes : cueillettes de plantes, teinture d’indigo, techniques d’impression… Tous les détails et dates des ateliers sur www.chateaudeprangins.ch

Château de Prangins Indiennes Affiche exposition 2021

Au Centre des indiennes, grâce à des supports multimédias, l’exposition permanente offre la possibilité de consulter des indiennes, d’écouter des témoignages, interviews.

A l’espace d’études, il est possible d’en apprendre davantage sur la collection de Xavier Petitcol dans son ensemble : recherche par thématique, techniques de fabrication, iconographie des toiles, production de diverses manufactures…

Château de Prangins
Musée national suisse
Avenue Général Guiguer 3
CH – 1197 Prangins

www.chateaudeprangins.ch

Facebook : @chateaudeprangins
Instagram : @chateaudeprangins

Chateau de Prangins exposition 2021 indiennes

Texte et photos sans mention : Françoyse Krier / Remerciements à Helen Bieri Thomson, Directrice du Château de Prangins

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