Josée de Vérité mémorial

Cela fait des années que l’alpiniste et sculpteur Josée de Vérité-Mermoud arpente, crampons aux pieds, le glacier des Bossons pour récolter des objets «rendus» par le glacier afin de les transformer en œuvres d’art, dans son atelier avec vue sur la montagne tant aimée. Depuis 1984, cette artiste, devenue chamoniarde par passion, poursuit inlassablement son but : transformer ses découvertes en sculptures et ce, en hommage aux disparus du Malabar Princess (1950), du Kangchenjunga (1966) et de Vincendon et Henry (1958). 

Josée de Vérité-Mermoud a vécu mille vies, et comme le chat, rebondit toujours sur ses pattes… Rien ne prédestinait cette native de Picardie, née à la ferme, qui a grandi parmi les chevaux, les moutons, les vaches, à devenir une passionnée de montagne. Elevée par une grand’tante et un grand-père qui lui ont inculqué le goût du travail bien fait, de la nature, et l’amour des animaux, la jeune Josée aspirait tout naturellement à devenir vétérinaire. Un parcours de vie qui s’avérait intéressant mais stoppé en plein élan car la jeune fille dut prendre un premier emploi dans une librairie. Une aubaine pour elle, férue de lecture, qui a pris plaisir à découvrir des auteurs publiés dans la collection de la Pléiade, des ouvrages prestigieux…

« Mon grand père bricolait, on faisait des cabanons, on réparait des vélos, on gardait les moutons… A la ferme, il fallait savoir tout faire ». S’ensuivent donc une myriade de petits boulots : fleuriste, travail sur les toits, bergère dans les Hautes-Alpes en été, femme de ménage dans une clinique où Josée fait part d’un souhait : travailler au bloc opératoire… Munie d’une autorisation – précieux sésame – elle assiste en tant que témoin à des interventions en salle d’opération. Son intérêt est si manifeste, ses questions si pertinentes que Josée est appelée à se présenter au bloc opératoire. Dans cette clinique tenue par des sœurs, observée par le Dr Bergeron, Josée pratiquera sa première opération de l’appendicite. C’était en 1966, à Amiens. A cette époque, il était courant que des personnes non diplômées mais motivées soient engagées en tant que panseuses de bloc, par exemple. Josée-la-féline terminera sa carrière en tant que chef de chantier.

Une opération du coeur l’oblige à séjourner pendant un an en maison de repos. La jeune artisane-voyageuse décide alors de retourner dans les Hautes-Alpes, où on lui conseille de se présenter à une école de ski. Parcours plutôt insolite pour une adepte de sport ne sachant pas…  skier, que celui de se voir proposer le poste de directrice d’une école de ski pour enfants. Ce sont eux d’ailleurs qui lui apprendront à se mouvoir sur des skis de 2 m 17, vêtue de matériel neuf arborant les couleurs bleu, blanc, rouge, avant qu’elle n’obtienne sa première étoile ! Mais Josée dut repartir en Picardie. (Mémorial sur la rive droite du glacier. Visuel du haut : @Josée de Vérité)

Josée de Vérité dans son atelierJosée de Vérité Atelier Inde

L’atelier de Josée qui présente l’Ours et le Drapeau indien. Photos fk

En 1974, un ami lui demande de l’emmener à Chamonix. La 2 CV prend la route d’une destination qui sera un choc pour Josée : « J’ai su que c’était là que, désormais,  je voulais vivre ». Et Josée fait la connaissance de la montagne, de l’escalade, et ramasse ses premiers morceaux de ferraille trouvés sous les pierres et la glace. Un retour vers l’Art également : « J’avais commencé à peindre dans les années 80. Je faisais du figuratif, huile ou aquarelle. Après, j’ai attaqué mes morceaux de ferraille mis de côté. J’en ai fait des sculptures pour la plupart jetées ou données à des amis. ou vendues pour acheter du matériel. Vendues par la suite pour acheter du matériel. Dès 1992, je me suis lancée à fond dans cette passion ». 

Côté vie privée, la vie de Josée de Vérité-Mermoud n’a pas été non plus un long fleuve tranquille. Des bleus à l’âme, quatre enfants, dont Nicolas qui décèdera en bas âge. Greg, Juliette, Madison l’entourent… Un mariage, un chalet construit en 93 avec son conjoint, pilote d’hélicoptère, et un atelier bien à elle, au fond du jardin.
« La chance aussi de pouvoir faire énormément d’escalade, de grandes courses, pratiquer la peau de phoque, aller nager au lac… Chamonix est un lieu hors du commun, sis dans un magnifique environnement, où l’on a choisi de vivre. J’y ai un toit, le confort, la liberté, des amis et j’apprécie… »

Josée de Vérité sur le glacier Bossons

Josée de Vérité sur le glacier des Bossons

Trouvailles sur le glacier – Josée et sa disqueuse. Photos @JdeV

Energie et passion, de la tragédie à la beauté…

Certes, la montagne est belle, mais tragique aussi. En-dessous de 3’700 mètres, réchauffé par la fonte, un glacier peut glisser de quelques dizaines de centimètres par jour, en pente faible. Plus il fond, plus il diminue de vitesse. C’est le cas au Mont Blanc. Cascade de glace de 8 km de long, entre le Mont-Blanc et Chamonix, le glacier des Bossons restitue chaque année une part de ses trésors engloutis et les secrets de son histoire marquée par deux crashes d’avion d’Air India : celui du Malabar Princess, en 1950, et du Kangchenjunga, en 1966.

Depuis une trentaine d’années, crampons au pied et sac au dos, Josée de Vérité-Mermoud parcourt inlassablement le glacier pour récupérer des débris de tôle et les transporter dans la vallée. C’est bien plus tard que l’artiste apprendra l’origine des morceaux récupérés et qui prendront alors à ses yeux un tout autre sens.

Josée de Vérité Intérieur d'un des deux avions indiensJosée de Vérité "Déshabillez-moi"

Josée de Vérité "Crevasse"
Intérieur d’un des deux avions – “Déshabillez-moi”-“Crevasse” 

Dans son charmant atelier-chalet miniature, la lumineuse ferrailleuse façonne ces objets torturés, écrasés et les transforme en sculptures qui reprennent vie sous des formes nouvelles, permettant parfois aux familles des victimes de faire leur deuil. « Ce qui m’intéresse, c’est sentir au bout de mes doigts cette tôle froissée, tellement chargée d’histoire, broyée au métal. Je ressens un quotient émotionnel très fort. C’est pour cela, je pense, que mes sculptures dégagent une certaine chaleur. C’est le métal qui dirige ma disqueuse, même si je veux avoir le dernier mot. Ma passion et toute mon énergie sont dans mes sculptures. Il faut n’y voir aucun côté morbide mais, au contraire, une résurrection ».

Sans oublier le mémorial, constitué du réacteur du Kangchenjunga et d’une stèle au plus près des séracs du glacier que Josée a transportée. Un lieu de recueillement – avec plaque commémorative – créé début juin 2018 en hommage à tous les disparus du glacier et aux amis montagnards victimes de leur passion : « Il n’y avait rien. Il fallait quelque chose. J’ai trouvé une façon de faire le lien entre ces tragédies passées et l’art contemporain ». Le tout pris sur ses deniers personnels.

L’ange qui orne le mémorial à Saint-Gervais, commune proche de Chamonix, est fait de pièces collectées sur le Malabar Princess, le Kangchenjunga et l’hélicoptère “crashé” dans lequel ont été abrités et ont péri les deux jeunes alpinistes Vincendon et Henry, en décembre 1956.

Visuels ci-dessous : la perceuse à colonne dans l’atelier de Josée. Sculptures : “Lumière des glaces” – “Envol” – “L’alpiniste”

Josée de Vérité Perceuse à colonnesSculpture Lumière des glaces de Josée de Vérité Envol Josée de Vérité

L'alpiniste Josée de Vérité

 

Destins tombés du ciel, sources d’inspiration 

Le 3 novembre 1950, le Constellation d’Air India “Malabar Princess” qui avait décollé de Bombay à destination de Genève, s’écrasait au-dessus du Massif du Mont-Blanc. Aucun survivant ne fut retrouvé parmi les 40 marins et les 8 membres d’équipage. En plus des passagers, l’avion aurait transporté une cargaison de pierres précieuses et des lingots d’or… Henri Troyat s’inspira de cette histoire pour son roman “La Neige en Deuil”, adapté à Hollywood dans un film tourné en partie à Chamonix, en 1956. En 2004, Gilles Legrand réalisa “Malabar Princess”, avec Jacques Villeret dont ce fut un des derniers rôles. Josée de Vérité était présente sur le lieu du tournage, en tant qu’habilleuse. Le Glacier des Bossons ne délivre ses trésors qu’au compte-gouttes. En août 2012, une valise diplomatique comprenant courrier et journaux indiens est trouvée par deux alpinistes et remise officiellement aux autorités indiennes. En 2013, un jeune Savoyard y découvre une cassette contenant des pierres précieuses. Le trésor est toujours sous scellé et l’enquête se poursuit…

Le 22 décembre 1956, deux jeunes étudiants, alpinistes, Jean Vincendon, 24 ans, et François Henry, 22 ans, décident de gravir le Mont Blanc. Ils se perdent à plus de 4’000 m d’altitude et, en raison de mauvaises conditions météorologiques, leur expédition tourne au drame. Après 10 jours, les deux jeunes gens succombent de froid et d’épuisement. Les tentatives de sauvetage échouent les unes après les autres alors que leur épopée est suivie à la jumelle depuis la vallée. L’émotion de Josée est palpable : « En tant qu’alpiniste, je peux imaginer leurs souffrances. Il n’y a eu aucune coordination des secours et les deux malheureux sont pratiquement morts sous les yeux des caméras. Cette affaire est à l’origine de la création du Peloton de gendarmerie de haute montagne – PGHM, unité de secours en montagne en France, et la compagnie de la CRS Alpes, opérationnels quelle que soit la saison ». 

Le 24 janvier 1966, le “Kangchenjunga”, un Boeing 707 de la compagnie Air India, qui effectuait la liaison Bombay-New York, s’écrase au même endroit, aux Rochers de la Tournette, avec 117 passagers à bord dont aucun ne survivra à l’accident.

Sculpture Covid Josée de Vérité

Sculpture Le gardien du Glacier Josée de Vérité

Sculpture La vie est un voyage Josée de Vérité
       Covid, Le Gardien du glacier, La vie est un voyage… 

Des gestes symboliques

Josée de Vérité-Mermoud aimerait pouvoir un jour compléter cet hommage en remettant le drapeau indien créé avec les débris des deux avions, en présence des membres des familles des disparus. « Des bijoux, un plaid d’Air India qui se trouvaient dans l’avion… Ces objets doivent revenir à l’Inde, à une ambassade ou un musée ». Grâce à une équipe de France 2 venue sur place pour effectuer un reportage, l’artiste vient d’être mise en contact avec le frère de Francois Henry, l’une des deux victimes de la montagne en 1956, et qui vit à Los Angeles. « Ma boucle sera alors presque bouclée lorsque je me rendrai en Inde afin de remettre ces objets qui ne m’appartiennent pas ».

Josée de Vérité partie d'un moteur du Malabar Princess

Chamonix Josée de Vérité et hublot

Découverte d’un moteur du Malabar Princess @JdeV – L’artiste derrière un hublot – fk

Aujourd’hui, Josée continue de grimper sur son cher glacier : « Je ne crapahute plus à la même cadence ! En fonction de l’âge, et après quatre cancers, deux arrêts cardiaques, il faut savoir écouter son corps. Le sport et ma création m’ont stimulée. Je continue à sculpter, notamment des cœurs en métal qui connaissent un vif succès auprès des transplantés cardiaques. Un bon nombre de sculptures reprennent l’avion pour des destinations lointaines : Australie, USA, Brésil, Argentine, Russie… ». 

Même le confinement ne l’a pas arrêtée : « Ici, tout s’est très bien passé. Avec le beau temps, je n’ai pas quitté l’atelier, ma chaise longue avec de bons polars et la confection d’assiettes de printemps ! Tout ce que je fais, je le fais avec plaisir…» .  

Josée de Vérité MermoudQuant à ses nouvelles sculptures, elles sont évocatrices du temps présent, des états d’âme de sa sensible créatrice, et ont pour nom : Covid, Le Gardien du glacier, Besoin d’évasion de mer, Le meilleur est à venir, La vie est un voyage…
A Chamonix, l’Expressionniste glacière, l’Exploratrice de l’histoire crampons aux pieds, la Ferrailleuse des Bossons (appellation déposée devant notaire), Josée de Vérité goûte aux plaisirs d’une vie nature dans un décor qui, à son image, respire le bonheur de vivre.

Extrait du poème La Ferrailleuse des Glaciers dédié à Josée de Vérité-Mermoud par Gérard David, pilote aguerri, après son accident d’hélicoptère survenu à Méribel en 2011  :

Grâce à vos doigts experts, revenus de cordée / Piolet et sac à dos rempli de ces trésors
Ferrailleuse des glaces, chercheuse aux ailes d’or / Josée, la vérité, vous l’avez bien trouvée. (…)

Josée de Vérité-Mermoud // joseedeverite@gmail

Chamonix Josée de Vérité plat printanier

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Texte Françoyse Krier ~ Photos : @Josée de Vérité & Françoyse Krier

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