François Boucher la Pêche chinoise

Inauguration ce 8 novembre de la magnifique exposition « Une des provinces du Rococo. La Chine rêvée de François Boucher » au musée des Beaux-Arts et d’Archéologie de Besançon. Reconnue d’intérêt national par le ministère de la Culture, la Direction générale des patrimoines et le Services des musées de France, cette exposition bénéficie d’un soutien financier exceptionnel de l’État. « Cela représente deux ans et demi de travail de préparation, souligne Nicolas Surlapierre, conservateur en chef des musées de Besançon. Peu de villes en France pourraient présenter un événement de cette importance ».

Ce musée bisontin qui conserve depuis deux siècles les dix esquisses réalisées en 1742 pour la manufacture de tapisseries de Beauvais, présente six tapisseries réalisées par la Manufacture de Beauvais à partir d’esquisses et cartons de François Boucher. Processus créatif d’un artiste qui sut, par une curiosité et une créativité exceptionnelles, inventer un répertoire exotique original et, selon le mot des Goncourt, « faire de la Chine une des provinces du rococo ». Cent trente prêt d’œuvres européennes et asiatiques prêtées par de nombreux musées et collections particulières à admirer jusqu’au 2 mars 2020.

François Boucher, l’un des piliers de l’histoire de la peinture au XVIIIème siècle avec Watteau et Fragonard, fut aussi l’un des artistes qui œuvra avec le plus de talent au renouvellement des arts décoratifs. Au moment où la Chine, cette civilisation aussi ancienne que lointaine, se rapproche de la France par le biais du commerce des objets d’art, Boucher en devient le traducteur, sans y être jamais allé : il crée de nombreux sujets chinois qui se diffusent presque aussitôt dans les décors parisiens autant que dans les recueils d’estampes et, inévitablement, dans les arts décoratifs, porcelaine, mobilier et en premier lieu tapisserie.

Visuel ci-dessus : la Pêche chinoise

tapisserie L'audience du Prince françois Boucher, Le jardin chinois

En début d’exposition, l’impressionnante tapisserie L’audience du Prince (Visuel ci-dessus, à gauche). Manufacture royale de Beauvais, d’après Guy-Louis Vernansal, Jean-Baptiste Belin de Fontenay et Jean-Baptiste Monnoyer // Le Jardin Chinois, 1742, Huile sur toile, musée des Beaux-Arts et d’Archéologie de Besançon.

La maîtrise d’un vocabulaire formel qu’il domine avec aisance, impose inévitablement Boucher comme l’auteur des cartons de tapisserie de la seconde tenture chinoise. A la fin du XVIIe siècle, une première tenture avait été tissée à la manufacture de Beauvais mais les cartons étaient peu à peu devenus trop usés et les sujets démodés. Boucher est donc sollicité par Oudry, directeur de la manufacture, pour fournir de nouveaux modèles. Il exécute dix « petits cartons » transposés en grand par le peintre Dumons, à destination des lissiers des ateliers de basse lisse. Huit de ces cartons sont présentés au Salon de 1742 et six sont finalement utilisés pour la tenture. Cette dernière figure parmi les succès de la tapisserie française au XVIIIe siècle, dix suites étant tissées entre 1743 et 1775. L’exposition réunit, pour la première fois depuis le XVIIIe siècle, les six pièces de tapisserie, formant un ensemble spectaculaire par ses dimensions et le caractère à la fois exotique et vivant des sujets.

atelier de Jean-François Picon, La Pêche chinoise,Manufacture royale de Beauvais, Le Repas.

Manufacture royale d’Aubusson, atelier de Jean-François Picon, La Pêche chinoise, vers 1755-70. Tapisserie de basse-lisse, laine et soir. Paris, galerie Deroyan // Manufacture royale de Beauvais, Le Repas de l’Empereur de Chine. Tapisserie de basse-lisse, laine et soir. Paris,
galerie Deroyan et Maison Machault.

 

tapisserie La danse choînoise - Boucher - détail tapisserie La danse chinoise - détail

Détails des tapisseries La Danse chinoise // Le Jardin chinois.

Yohann Rimaud, conservateur au Beaux-Arts et d’Archéologie de Besançon, commissaire de l’exposition, commente :  « Le point de départ de l’exposition est la série des dix peintures réalisées par Boucher pour servir de modèles aux lissiers des ateliers de Beauvais. Neuf des dix peintures sont léguées à la bibliothèque de Besançon par l’architecte Pierre-Adrien Pâris, qui les avait achetées en 1786 à la vente, après le décès du financier Bergeret de Grancourt l’un des plus fervents collectionneurs de Boucher, au XVIIIème siècle. Les dix peintures de Boucher sont devenues, dès le XVIIIème siècle, des peintures de cabinet. Ce sont à l’origine des “petits cartons” ayant pour vocation d’être mis en grand afin d’être utilisés comme modèles par les lissiers de la manufacture. La présentation de la tenture elle-même, c’est-à-dire des six pièces qui ne sont visibles nulle part en même temps, est en soi un événement ».

uite de six panneaux à décor chinois Paris Ecole française du XVIIIème siècle.

Visuels ci-dessus : Feuille d’une suite de six panneaux à décor chinois, montrant la production du thé et la fabrication de la porcelaine, Chine, région de Canton, XVIIIème siècle. Papier collé sur toile et gouache. Paris, musée du Louvre. // Nature morte aux porcelaines avec singe et oiseaux. Ecole française du XVIIIème siècle. Vers 1725-1730. Huile sur toile. Paris, musée des Arts décoratifs.  // Cabinet portatif, Japon, (vers 1640-80). Bois laqué noir, or rouge, aventurine, étain, cuivre gravé. Dijon, musée des Beaux-Arts.

Objets d’art, dessins, estampes, peintures, tapisseries, parmi lesquels de nombreux inédits, permettent d’évoquer la culture visuelle de François Boucher et de démontrer son rôle central et déterminant dans le goût pour la Chine qui se développe en France à son époque.
Cet artiste, Collectionneur et curieux, cet artiste, exploite les objets exotiques qu’il connaît bien, dans sa peinture et dans son dessin. Il faut dès lors considérer Boucher comme un inventeur et même un entrepreneur ayant une conscience aiguë des enjeux artistiques et sociaux de son époque, au-delà de l’étiquette un peu trop commode de peintre ou de dessinateur. Sa Chine rêvée est une parenthèse formidablement créatrice de dix ans dans une carrière immense, dont les effets marqueront durablement le siècle des Lumières.

Exposition François Boucher besançon

Exposition François Boucher Besançon Objets chinoisExposition François Boucher Besançon Vases et objets chinois

 

Dongfang Shuo ou Cheou-Le, divinité de la longévité

Sucrier à décor d'après BoucherCatalogue des collections de F. Boucher vendus après sa mort

Visuels ci-dessus : cabinet de curiosités présentant divers objets chinois dont une paire de vases en porcelaine céladon (collection Al Thani), ds figurines en plâtre , bois, métal, poils, (Musée des beaux-arts de Rennes). Dongfang Shuo ou Cheou-Le, divinité de la longévité, Chine, Dynastie Qing. Stéatite. Musée des beaux-arts de Rennes. // Manufacture de Vincennes. Sucrier à décor d’après Boucher (Le Feu), porcelaine tendre, vers 1749-1751. Collection particulière. // Catalogue des tableaux, dessins, et collections de François Boucher mis en vente dès le 18 février 1771. La vente aux enchères de la collection Boucher, après sa mort, rapporta beaucoup d’argent, selon Alastair Laing, l’un des plus grands spécialistes de François Boucher.

L’une des ambitions de l’exposition est de rendre perceptible pour le visiteur la culture visuelle de François Boucher, qu’il se forme en fréquentant le commerce parisien des objets exotiques alors en plein essor. Le parcours s’ouvre ainsi sur une série d’objets vendus par les marchands-merciers autour de 1730-1740 – paravent de laque, papier peint, porcelaines, colliers, boîtes à encens, théières, vases, porte-pinceaux, etc. – présentés sur une scène aménagée comme l’intérieur d’une boutique.

Les recherches menées à l’occasion de l’exposition confirment que Boucher est l’un des collectionneurs d’objets asiatiques les plus ambitieux de son époque. Sa collection, dispersée en 1771 après sa mort, comprend environ sept cents objets asiatiques. Elle se différencie des ensembles contemporains par une diversité sans limite. Une sélection d’une cinquantaine d’objets est présentée de manière à en montrer la richesse et la variété tout en donnant une idée des proportions des différentes catégories d’objets et des typologies formelles, statuettes, porcelaines montées, boîtes de laque en forme de papillons, cadenas, instruments de musique chinois… Très tôt Boucher utilise cette collection comme moyen de se faire connaître sous un double statut, celui d’artiste et celui d’amateur.

Femme sur un lit de repos F. BoucherLe Déjeuner Francois BoucherLa Toilette ou Femme nouant sa jarretière F. Boucher

 

 

 

La Gimblette François Boucher

La Chine galante

Connu surtout pour son oeuvre artistique, François Boucher l’est moins pour sa collection d’objets asiatiques révélant un goût prononcé pour l’Orient. Son oeuvre peint regorge d’allusions, souvent discrètes à la Chine et aux chinoiseries.

Trois “tableaux de mode”, de petit format, Femme sur un lit de repos (1743, New York, Frick Collection), Le Déjeuner (1739, Paris, Musée du Louvre) tableau rarement prêté sauf à l’occasion de cette exposition exceptionnelle, La Toilette ou Femme nouant sa jarretière (1742, Madrid, musée Thyssen-Bornemisza), ne sont pas des scènes chinoises, mais Boucher y place une multitude d’objets chinois soigneusement décrits et qui contribuent à la sensualité de ces petites peintures précieuses : vase chinois en céladon, service à thé, miroir en laque rouge, brûle-parfum, table en laque noire, paravent… “L’Extrême-Orient est partout en évidence “, selon Allistair Laing, Commissaire associé et spécialiste de François Boucher.

La Gimblette (huile sur toile, vers 1745, Karlsruhe Staatliche Kunsthalle) : sur la console, on remarque un vase chinois en porcelaine, et dans un coin, un meuble d’angle peut-être laqué…

 

commode à décor d'après Boucher décor bleu et blanc du château de Choisy commode laque chinoise d'après un dessin de F.Boucher

 

Le mobilier

Visuel ci-dessus, à gauche : Christophe Wolff  (1720-1798), commode à décor d’après Boucher, prêtée par le Musée des des Arts décoratifs de Paris. Marqueterie, bronze, marbre, vers 1775.

Le Chinois galant. F. BoucherAu centre, le décor bleu et blanc du château de Choisy. Louis XV achète le château de Choisy et charge l’Architecte Ange Jacques Gabriel de le remanier. Un des appartements attribué à la favorite en titre, Louise Julie de Mailly-Nesle, comtesse de Mailly, est resté célèbre pour son décor en bleu et blanc qui s’inspirait du Trianon de porcelaine de Louis XIV. L’utilisation du camaïeu bleu en guise de trompe-l’oeil simulait une technique (la porcelaine) synonyme de Chine. L’ensemble du mobilier comportait une table à écrire, des encoignures, une commode de vernis fond blanc peint de fleurs, d’oiseaux, ornements bleus et baguettes de bronze argenté, ce qui est exceptionnel.  Seules la commode et l’encoignure portant l’estampille Matthieu Criaerd (1742, bâti de chêne, placage de bois fruitier, bronze argenté, marbre bleu turquin, Musée du Louvre Paris) sont aujourd’hui connues. Les recherches menées à l’occasion de l’exposition ont permis d’identifier deux somptueux dessus-de-porte de Boucher ayant conservé leurs cadres rocailleux originaux (Le Chinois galant, 1742, huile sur toile @The David Collection Copenhague).

A droite, commode en panneaux de laque chinoise sur lesquels un vernisseur parisien a rajouté des saynètes constituées de personnages tirés d’un dessin de François Boucher, publié en 1740 par l’artiste.

 

L’artiste aux 10’000 dessins

dessins de François Boucher

dessin de coquillage F. Boucher

 

La majorité des dessins de François Boucher proviennent des collections de Pierre Adrien Pâris et Jean Gigoux, les deux très grands donateurs à l’origine des collections du musée des Beaux-Arts et d’Archéologie de Besançon.
Les frères Goncourt ont publié une première biographie de l’artiste en 1859. Ils consacrent une partie de leur texte à la collection de Boucher, à l’ensemble de chinoiseries accumulées dans son atelier et à la description des tapisseries, mentionnant que Boucher a réussi à faire de la Chine une province du rococo. D’où le titre de l’exposition.

 

Dans cette galerie-couloir est présentée une sélection d’une trentaine de dessins dont une trentaine sont attribués à François Boucher, datés des années 1730-1740 jusqu’à la fin de carrière de l’artiste. Deux études de coquillages, très longtemps attribuées à Watteau…  Professeur à l’Académie royale de peinture, François Boucher travaillait à côté de ses élèves.
Etudes anatomiques, de mains, de bustes, nus masculins… Une Vénus endormie, étude pour une peinture à l’huile. Un dessin représentant une paysanne et ses enfants témoigne de la grande vigueur du thème pastoral de Boucher à la fin de sa carrière.

« L’immense variété de sujets créés par cet artiste est remarquable. Quand François Boucher disait qu’il avait fait 10’000 dessins dans sa vie, il ne parlait pas de petites esquisses, il mentionnait des dessins faits pour être gravés, ceux pour les tapisseries de Beauvais, pour le théâtre, pour Sèvres… Réalisés presque tous  au crayon noir, aux trois crayons, à la craie. Boucher était capable de tout et a tout fait : pastels, lavis, encres…», conclut Alistair Laing.

(Photos : Françoyse Krier ~ Texte : DP + fk)

 

Affiche rococo besançon. Nicolas Surlapierre Yoann Rimaud

Nicolas Surlapierre. Directeur des musées du Centre / Yohann Rimaud, conservateur aux Beaux-Arts et d’Archéologie de Besançon, commissaire de l’exposition / Nicolas Bousquet, Chef du service développement culturel des musées du Centre.

 

Affiche exposition Rococo Besançon François Boucher

 

Musée des Beaux-arts et d’Archéologie
1 place de la Révolution, 25000 Besançon – France
www.mbaa.besancon.fr

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