Exposition au Château de Gruyères
Noël pour la patrie

Quand la propagande s’immisce jusque sur le sapin de Noël…

Du 27 novembre 2021 au 16 janvier 2022, le Château de Gruyères accroche sur ses sapins des centaines de décorations patriotiques centenaires, remisées depuis longtemps avec les sombres souvenirs que beaucoup préféreraient oublier. À travers cinq thématiques, l’exposition met en lumière l’effort de guerre des nations occidentales, de la fin du XIXe siècle à la Seconde Guerre mondiale. A l’heure où les États appellent à l’effort citoyen et que certains crient à l’endoctrinement, l’exposition invite les visiteuses et visiteurs dans un passé où le conflit identitaire et la propagande s’immiscent jusque sur le sapin de Noël.

^{Jouets Etrennes Au Printemps 1917 ~ Aux Galeries Lafayette 1919 ~ A la Samaritaine Paris, couverture de catalogue d’étrennes, 1940, Musée du Jouet de Poissy © Château de Gruyères}

Noël à la maison

La guerre marque profondément les célébrations de Noël et le coeur n’est pas toujours à la fête, mais les préparatifs de l’avent suivent leur cours et s’adaptent aux restrictions financières et alimentaires. Le climat général délétère, attisé par une propagande dénigrant allègrement l’ennemi, change radicalement le message de paix chrétienne traditionnel. Pour les familles soumises à une interminable attente, la décoration du sapin de Noël devient alors une occasion de soutenir la patrie.

Si Noël évoque l’amour et le partage, sa célébration ne s’est pas toujours tenue en temps de paix. Depuis le XIXe siècle, l’Europe a connu plusieurs périodes de tensions et de conflits qui ont laissé leur empreinte jusque dans les traditions de Noël.

Lorsqu’éclate la Première Guerre mondiale, les couleurs de l’Empire allemand flottent déjà sur les sapins, tandis que les enfants déballent des reproductions miniatures d’engins de guerre. Les cartes de voeux témoignent de l’affection des familles pour les hommes mobilisés pendant les fêtes et de leur soutien à la nation.

Noël au front

La guerre fait fi de Noël et les combats incessants de la Première puis de la Seconde Guerre mondiale n’épargnent pas les troupes sur le terrain. Les familles et la collectivité se mobilisent auprès des autorités pour soutenir les soldats restés au front. De menus paquets achetés par la population offrent un peu de réconfort et quelques mots chaleureux accompagnent un message patriotique diffusé sur les cartes de voeux.
Sur le front allemand, les soldats de la Grande Guerre reçoivent des décorations fabriquées dans les foyers. Des sapins sont décorés dans les tranchées allemandes malgré l’exiguïté des galeries de terre.
En Suisse, une section spéciale de l’armée (Heer und Haus) milite pour la « défense spirituelle de la Suisse » et organise une récolte d’affaires tricotées par les écolières et les femmes au foyer. Chaque paquet est accompagné d’une lettre délivrée par la poste de campagne, dont le rôle est essentiel pour maintenir les liens entre les familles et le front.

Noël des enfants

En temps de guerre, de nombreux témoignages relatent le voeu le plus cher des bambins qui réclament le retour de leur père resté au front ou fait prisonnier par l’ennemi. Saint Nicolas, le Père Noël ou encore le Christkind parviennent cependant à se glisser dans les foyers européens les plus aisés, et ce malgré les conflits qui font rage dans la première moitié du XXe siècle. Les grandes enseignes françaises adaptent alors leur sélection de jouets dans leurs catalogues d’étrennes. La couverture reflète la situation géopolitique tendue dans des lithographies colorées, où les enfants côtoient tristement les Poilus et les bombardements.

Tous les enfants n’ont toutefois pas la chance de recevoir des cadeaux aussi onéreux pendant cette période de restrictions. De nombreuses familles créent de petits objets artisanaux en forme d’avion ou de navire de guerre. Des feuillets imprimés et prédécoupés en forme de soldats ou de tanks prennent vie grâce à la dextérité des petites mains suisses et françaises qui rejouent inlassablement le quotidien du terrain et des zones frontalières.

Pour la nation

Dès la fin du XIXe siècle, l’affirmation des identités nationales s’affiche jusque sur les branches du sapin de Noël, alors support iconographique de la grandeur d’un empire. La victoire des Allemands sur les Français en 1871, suite au conflit franco-prussien, amorce un patriotisme exhibé jusque dans les foyers. Les représentations de soldats et de leurs armes, les portraits de l’empereur allemand Guillaume II ou de François-Joseph Ier d’Autriche côtoient les décorations traditionnelles.

Outre-Atlantique, le sapin se colore de rouge, blanc et bleu et la bannière étoilée ne manque pas à l’appel sur l’arbre en plume. En décembre 1941, les États-Unis se rallient à la Grande Alliance et la population américaine marque son soutien aux soldats enrôlés dans le conflit mondial. Les caricatures des ennemis jurés rejoignent les symboles de la nation tels que Lady Liberty ou Uncle Sam parmi les boules de Noël préférées des Américains. Les décorations en verre se font toutefois rares en temps de guerre. En Suisse, un artisan du nom d’Egli utilise le carton encore à disposition pour fabriquer des décorations en papier mâché. De nombreuses familles complètent le décor artisanal de leur sapin avec de petites étoiles et maisonnettes manufacturées.

Œuvres de guerre

Dès les débuts de la Grande Guerre, le nombre de victimes est considérable et les conflits s’étendent bientôt dans toute l’Europe et une partie de l’Afrique. Rapidement, les États concernés constatent leur incapacité à faire face aux besoins des populations non seulement civiles, mais aussi militaires. En complément aux allocations des pouvoirs publics, le soutien des organisations caritatives destiné aux combattants, victimes de guerre, prisonniers, réfugiés, ainsi qu’aux veuves et orphelins, devient indispensable.

Des récoltes de fonds de masse, jusqu’ici assumées par l’Église et les riches mécènes, s’organisent en France, aux États-Unis ou en Grande-Bretagne. La population se mobilise malgré les restrictions imposées à tout un chacun. À l’approche des fêtes de fin d’année, les œuvres de guerre se multiplient et ces actes de charité procurent un sentiment d’appartenance à une communauté soudée pour une cause qu’elle estime juste et nécessaire.