Parastou Forouhar Revolver 2010 - Mudac Lausanne 2018Avec ligne de mire, le mudac s’intéresse à l’univers des armes à feu, sujet de société actuel et sensible, en l’observant par le prisme du design et de la création contemporaine. Première exposition du genre en Suisse, elle questionne les relations paradoxales que nous entretenons avec ces objets ambigus, aussi fascinants que répulsifs, pulsionnels que meurtriers. 

Les relations entre design et violence restent taboues – la question du design létal se heurtant notamment au mutisme de l’armement –, mais les artistes et les designers sont nombreux à travailler autour de ce sujet. Réappropriation, recyclage, recherche sur les contextes environnant les armes, voire utilisation de l’arme comme motif ou memento mori, les pièces présentées dans l’exposition permettent d’ouvrir le débat sur ce fait sociétal complexe. (Visuel : Parastou Forouhar Revolver 2010)

Dans la conception même des armes à feu, le rôle du designer est central et la fonctionnalité du design bien particulière. Une arme est en effet avant tout un moyen au service d’une fin : elle a pour objectif de neutraliser le plus efficacement possible, et se doit d’être fiable, compacte, légère, ergonomique, durable, parfois esthétique, et de plus en plus, intelligente.
Au cours de nos recherches de plus de deux années, la question du design létal s’est heurtée au mutisme de l’industrie de l’armement : au-delà du secret lié aux nouvelles technologies, communiquer sur les développements de la fonctionnalité d’une arme à feu ne semble pas acceptable pour les producteurs. Et de manière plus générale, évoquer la relation entre design et violence reste souvent tabou. D’autres contextes sont plus porteurs en termes de communication : des enjeux tels que l’écologie, les interactions sociales ou encore la gestion du Big Data sont en effet plus faciles à valoriser que, par exemple, le développement d’une arme dotée d’une intelligence artificielle, capable à l’aide d’un système de reconnaissance faciale de trouver sa cible et décider en toute autonomie de tirer.

(Visuel : Robert Longo, Untitled (.38 Special), 1993 Fusain et mine de plomb sur papier, 228 x 190 cm - Courtesy de l’artiste)L’arme à feu laisse rarement indifférent
C’est un constat sans appel. Peu d’objets provoquent des sentiments aussi contrastés, allant de l’aversion la plus profonde à une fascination morbide – cette appréhension étant souvent liée au contexte socioculturel dans lequel nous avons grandi. Mais quelle que soit notre position, l’arme colonise notre quotidien et notre imaginaire par d’innombrables images et représentations, que ce soit au travers des médias, des films ou des objets qui nous entourent. Tour à tour, elle est engin de guerre, mécanisme d’agression individuelle ou collective, symbole de pouvoir et de violence, objet de trafics à grande échelle, produit d’économies parallèles, mais également élément de décoration. Motif iconographique, l’arme agit comme un signe qui rappelle notre présence éphémère et notre fragilité. L’exposition s’articule en plusieurs secteurs dont les titres de chapitre se réfèrent spécifiquement au champ lexical des armes, allant de la réappropriation du mythique AK-47 (Kalachnikov) par les designers et artistes à des travaux qui recyclent les différents éléments constitutifs des armes à feu de manière inattendue, spectaculaire et engagée.
Jouant sur la matière, les formes ou encore les genres, ligne de mire propose d’engager une réflexion approfondie sur ce fait sociétal majeur et complexe. L’exposition se conclut par une salle de documentation conçue en partenariat avec Small Arms Survey, ONG basée à Genève qui se charge de recueillir des données sur la circulation des armes légères et la violence armée au niveau international. La scénographie a été conçue par l’atelier d’architecture lausannois T-Rex & Cute Cut et le graphisme par Aurèle Sack, enseignant à l’ECAL. Un catalogue bilingue (français/anglais) richement illustré, comprenant des textes de chercheurs, anthropologue, historien de l’art ou scientifique, sera édité à l’occasion de l’exposition. (Visuel : Robert Longo, Untitled (.38 Special), 1993 Fusain et mine de plomb sur papier, 228 x 190 cm – Courtesy de l’artiste)

Mudac lausanne (Visuel : An Sofie Kesteleyn_My First Rifle_2013) 1. PUISSANCE DE FEU  – Cette première salle confronte le visiteur de manière frontale et immédiate à la réalité de la guerre, à travers l’emploi des armes à feu dans un contexte d’entraînement militaire. Une installation immersive montre des soldats de nombreux pays en situation de tir et questionne la représentation de l’ennemi. A peine entré dans l’exposition, le visiteur est successivement placé du côté du tireur, du visé, ou en observateur ; cette position dérangeante a pour but de faire réagir.

2. IMPACT & BALISTIQUE – D’un point de vue technique, la fonction optimale d’une arme se mesure par le pouvoir de pénétration et de perforation de la balle. Quelles que soient les raisons pour lesquelles on appuie sur la gâchette, de cette action peut résulter souffrance et destruction, autant sur le plan physique et matériel que sur le plan émotionnel. L’arme dit, signifie et inflige la mort. Plusieurs oeuvres évoquent le tir et l’impact, de manière parfois crue et concrète, parfois plus poétique. Elles soulèvent des questions éthiques et sociologiques liées aux contextes entourant les armes à feu.
(Visuel : An Sofie Kesteleyn_My First Rifle_2013)

3. NO MAN’S LAND – Dans cet espace entre deux étages, une oeuvre hybride évoque l’arme qui devient motif : par la répétition, la simplification et la mythification, l’image de l’arme joue un rôle central dans la formation de son statut d’icône. Multipliées à l’infini, plusieurs armes iconiques se métamorphosent alors en un paysage tranquille et rassurant.

4. MOBILISATION FÉMININE – Associée au pouvoir, principalement représenté par les hommes, l’arme à feu est un attribut volontiers masculin. Au fil de l’histoire, les femmes se sont pourtant emparé de cet objet : des amazones, peuple de femmes guerrières très souvent fantasmées, aux héroïnes hollywoodiennes hyper érotisées telles Barbarella ou Lara Croft, la femme armée déconstruit le mythe des genres dans l’histoire universelle en s’impliquant de manière physique dans les conflits, comme en témoignent les peshmergas kurdes.

5. CARTE BLANCHE À TED NOTEN – Dans cette salle, le mudac donne carte blanche au designer néerlandais Ted Noten. Ce dernier détourne des objets- symboles et iconiques, liés à des environnements bien définis et les replace dans des contextes complètement étrangers à tout ce qu’ils peuvent impliquer. Pour ligne de mire, il a imaginé un dispositif avec en focus Uzi Mon Amour, un Uzi, pistolet-mitrailleur israélien, en or massif, gravé et scellé dans un bloc d’acrylique en forme de mallette. Avec cette oeuvre, il confronte des références à la beauté (or, matériau transparent et lumineux, objet de luxe) à d’autres éléments qui rappellent la violence et la destruction.

Al Farrow Mausoleum II_2008 - mudac lausanne

6. DOUBLE ACTION – Plusieurs projets font apparaître l’ambiguïté des armes en tant qu’objets de design. Une série de photographies montre des enfants posant fièrement avec leur Crickett, arme pour enfant aux couleurs pétantes, esthétiquement pensée pour séduire le jeune public. En contrepoint, le controversé Liberator, arme dont le protocole de fabrication pour imprimante 3D domestique a été publié sur le Net en version « open-source ».

7. ZONE D’ENTRAÎNEMENT – Notre rapport à l’arme se joue déjà dans les jeux d’enfants : cet objet fascinant qui décuple notre pouvoir de coercition et de domination habite notre imaginaire depuis longtemps. On peut considérer que cette technique d’homicide est finalement la même depuis la préhistoire et relève d’une anthropologie du « fendre » ; elle se perfectionne seulement au fil du temps. D’abord du silex, une pointe de flèche, une épée puis une balle. L’installation présentée rappelle la forme de l’arme de manière poétique et renvoie à une forme de primitivisme dans l’acte de tuer.

8. CLASSIFICATION & MANUFACTURE – Les formes de plusieurs armes célèbres comme le AK-47 ou le M-16 sont réalisées dans des matériaux surprenants : porcelaine, céramique, perles, sucre, fils de fer, papier ou encore verre. Ce détournement et ce jeu de matières confèrent un rôle inattendu à ces armes mythiques : privées de toute fonctionnalité destructrice, comme désactivées, elles délivrent un message pacifiste ou contestataire. Le sculpteur américain Al Farrow  crée des modèles d’églises, de temples et de mosquées à partir de balles et de pièces d’armes à feu soulignant la relation inquiétante entre la guerre et la religion (Visuel ci-dessus).

9. BALLE À BLANC / RECUL – Dans l’art et le design, le recours à l’univers des armes implique souvent une position critique engagée. Les créateurs dénoncent la dérive d’un modèle de société porté sur la contrainte et l’intimidation, imposant par la violence son pouvoir contre le gré des individus. Dans les pièces présentées, mobiliers et architectures sont constitués à partir d’éléments d’armes à feu et de munitions recyclés, questionnant les contextes historiques et politiques de leur utilisation, et soulignant les liens entre armes et pouvoir.

10. SERVICE DE RENSEIGNEMENTS De nombreux chiffres et informations sur les armes à feu ainsi que leur impact au niveau mondial sont consultables dans cet espace, dont l’ONG Small Arms Survey a étroitement collaboré à la réalisation. Située à Genève, cette ONG a pour mission de produire des données basées sur des évaluations factuelles, impartiales et pertinentes pour élaborer des stratégies sur les armes légères et la violence armée. Elle représente la principale source internationale d’expertise, d’information et d’analyse en la matière. Plusieurs écrans présentent des données recueillies par pays, qui renseignent notamment sur le nombre de morts dues à un conflit, le nombre d’homicides intentionnels, ceux commis par arme à feu, etc. Les visiteurs peuvent écouter une dizaine d’interviews de professionnels actifs dans des domaines très différents (humanitaire, culture, recherche, police, vente d’armes, etc) sur les armes à feu et leur impact. Une bibliothèque retraçant l’histoire des armes à feu et un schéma présentant les composants techniques de ces objets.

Mudac Lausanne - Mircea Cantor Dont Judge Filter Shoot_2016 La scénographie de l’exposition
ligne de mire s’inspire des modifications sur l’espace et l’architecture que l’on peut observer dans des contextes d’utilisation des armes à feu (guerre, intervention de police, ou autre). Des empilements de sacs de jute permettent aux visiteurs de se protéger de la violence que peuvent dégager ces objets. La proposition scénographique se développe également autour de la lumière : l’assombrissement des salles suggère une situation de crise, des rais de lumière et des bornes guident les visiteurs, enfin un système de miradors éclaire les oeuvres comme une sorte d’autorité de surveillance. Le mudac se trouve ainsi plongé dans un clair-obscur où le visiteur est invité à s’interroger sur la complexité du thème abordé dans l’exposition. (Visuels : Mircea Cantor Dont Judge Filter Shoot_2016 // ci-dessous : BrigitteZieger Womenare Different from Men_2011)

ligne de mire – du 14 mars au 26 août 2018
mudac – musée de design et des arts appliqués contemporains
Place de la Cathédrale 6 / 1005 Lausanne
www.mudac.ch

Mudac Lausanne BrigitteZieger Womenare Different from Men_2011

 

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