Dès son origine, le vêtement est à la fois protection, parure et signe d’identité sociale. Avec l’essor du luxe au Moyen-Âge, puis de la mode dès le 17e siècle, il endosse un nouveau rôle : sculpter la silhouette. Augmentation ou réduction des hanches, affinement et allongement des jambes, variation de la hauteur et du tour de taille, modelage de la poitrine : le vêtement modifie de mille manières la perception du corps, générant un inventaire de formes incroyablement créatives et délicieusement compliquées. Exposition à admirer au Musée Historique de Lausanne, jusqu’au 29 septembre 2019.
L’exposition se déploie dans trois salles et autant d’ambiances différentes. La scénographie invite le public dans un dédale sous forme de lèche-vitrines dans une capsule temporelle allant du 17e siècle à nos jours. La visite commence par un espace réservé aux lignes féminines avec des robes aux coupes tantôt somptueuses tantôt délicates.
Dans le dressing de nos ancêtres
Cette réinvention des formes, des lignes et des volumes au fil des saisons et des époques concerne autant la garde-robe féminine que le vestiaire masculin. D’où l’apparition d’un vocable haut en couleurs : paniers, faux-culs, corsets, pièces d’estomac pour elle. Redingotes, braguettes, vestes, gilets, culottes pour lui. Au fil du temps se trame l’enjeu du vêtement, tout sauf futile. On s’habille par goût personnel, mais ne le fait-on pas aussi en fonction du regard des autres ?
Le corset s’est souvent vu attribuer de hautes valeurs morales. Instrument du maintien des chairs féminines jugées trop molles, il impose une posture droite et rigide, signe de moralité. Ses détracteurs jugent le corset emblématique des excès du vêtement et de la mode. Jean- Jacques Rousseau dénonce le caractère artificiel qu’il confère à la silhouette, alors que Gustave Flaubert, dans son Dictionnaire des idées reçues, le résume en une phrase lapidaire : « Corset : empêche d’avoir des enfants ».
Au cours de l’histoire de la mode, le vêtement a traversé d’innombrables fluctuations, tant au niveau du volume de la jupe et de la poitrine — de l’homme autant que de la femme — la forme des jambes, la largeur des épaules, des cols et la hauteur de la taille à géométrie variable. La silhouette n’a cessé d’évoluer au fil du temps. Quant aux fesses, cette partie de l’anatomie féminine qui attire l’attention depuis fort longtemps, effacées au Moyen-Âge, elles s’imposent dès le 17e siècle avec l’avènement des robes circulaires en forme de cloche. Un siècle plus tard, ce sont les hanches qui sont mises en valeur, pendant que l’avant et l’arrière de la robe sont aplatis, c’est la mode des paniers. Plus élégant que son autre définition de vrai hypocrite, le faux-cul désigne, au 19e siècle, ce fameux volume ajouté sous la jupe au niveau des reins pour donner de l’ampleur au séant, en contraste absolu avec le siècle précédent.
Du rang ! De l’histoire au street styling…
La contrainte sociale existe : celle des lois somptuaires promulguées entre les 16e et 18e siècles avec plus ou moins de succès, pour limiter les dépenses jugées excessives et garantir la séparation des classes sociales : un domestique ne doit pas être confondu avec son maître. Depuis le 19e siècle à nos jours, les « règles » établies, souvent malmenées par la mode, ont les reins solides. Si aujourd’hui les questions liées aux genres entrouvrent de nouveaux horizons, beaucoup de gens jugeront encore comme un acte de transgression un homme portant une jupe.
Des salons et bals d’antan, la mode est descendue dans la rue pour y faire sa révolution du style dans la deuxième moitié du 20e siècle. Silhouette. Le corps mis en forme – dont les pièces proviennent en majorité de la collection du Musée historique Lausanne – fait ainsi audacieusement dialoguer les époques jusqu’à nos jours, en dévoilant le travail très abouti de la photographe et directrice artistique Christiane Nill, qui immortalise des looks dans les rues de Lausanne.
Le faste et le chic chez Bonnard
Depuis le milieu du 19e siècle, le grand magasin a pris une place majeure dans l’économie du vêtement, c’est le «Bonheur des Dames» cher à Émile Zola. A Lausanne aussi, le grand magasin fournit aussi bien l’habillement courant que des vêtements de prestige et de soirée. L’un des exemples les plus marquants estcréé par François Bonnard, qui a repris en1839 un petit magasin de toileries à la rue de Bourg. Dès 1848, le magasin «F. Bonnard et Fils» est dirigé par ses fils Émile et Adolphe, puis par ses petits-enfants. Des agrandissements successifs en direction de la place St-François font du magasin Bonnard le plus grand commerce spécialisé en toilerie et en confection de Lausanne. Son rayonnement dépasse alorslargement les limites de la ville. Il cessera finalement ses activités en 1974, les bâtiments étant repris par «BonGénie».
Mise en volume à partir du tissu
Le tissu : mis à part la technique du flou qui se façonne en drapage à même le mannequin, les pièces construites requièrent des techniques prenant en compte le corps et ses formes tout en alliant l’aisance à l’esthétique. Il s’agit du patronage, soit les différentes pièces assemblées constituant un vêtement. Cette technique s’adapte aux formes du corps et du développement des tailles. Certaines pièces requièrent plus de rigidité pour donner un volume plus important.
On utilise alors la technique de l’empesage à l’aide d’amidon de blé : la fraise, cette collerette qui au 17e siècle forme un véritable plateau pour la tête, constituée de tissu d’une grande finesse, consomme beaucoup d’étoffe, jusqu’à 17 mètres pour les plus grandes, et son bord est replié en plis arrondis réguliers, les godrons.
Enfin, pour les très grands volumes de la jupe, on recourt à des superpositions de jupons, voire à de véritables constructions mécaniques, comme les crinolines et les tournures, qui prennent place sous les vêtements. Accrochés sur un panneau, une série d’échantillons de matériaux permet de comparer la sensation au toucher, de la même manière qu’on le fait lorsqu’on choisit une pièce pour soi dans un magasin.
Flou artistique : cache-cache entre rêve et réalité
La hauteur de la taille n’a cessé de varier au cours du temps, du pubis jusque sous la poitrine. La position de la taille définit un «haut» et un «bas», allongeant les lignes d’une robe ou du buste, faisant bouffer une poitrine ou une jupe sur les hanches. Divers procédés visuels ont été utilisés pour marquer la taille ou au contraire la faire disparaître : pointe du corset, ceinture ou ruban sont des exemples parmi d’autres.
Les manches, bouffantes, à volants, pagodes, chauve-souris ou gigots, se permettent toutes les fantaisies. La longueur est importante: trop courtes, elles sont jugées peu convenables. Ornées d’engageantes, manchettes rapportées en dentelles, celles-ci ne doivent pas être trop opulentes.
Au début du 19e siècle, un vent de liberté souffle sur le corps féminin. Le corset est temporairement rejeté, et la mode, s’inspirant de l’Antiquité, généralise les longues robes de mousseline. Pour la première fois depuis plusieurs siècles, les jambes des femmes se laissent entrevoir.
Dès la fin du 19e siècle, diverses expérimentations vestimentaires remettent en cause la prééminence de la silhouette dans la mode. Le bouillonné de tissu, ces grosses fronces qui s’accumulent comme de la crème chantilly et font disparaître une partie d’une robe ou d’un corps, avait déjà été utilisé dans le courant du 19e siècle.
Exposition Silhouette. Le corps mis en forme
Jusqu’au 29 septembre 2019
Musée Historique de Lausanne
Place de la Cathédrale 4
1005 Lausanne